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On s’explique assez l’impuissance du voyant, accablé par la sublimité de ce qu’il contemple. Ce qui est moins naturel, et cependant très logique, c’est que la même condition, révélation et symbolisme, s’imposait pour le passé.

Hénoch, qui racontait toute l’histoire des Israélites, était censé l’avoir connue par révélation. D’autre part, il ne pouvait cependant réciter les faits comme ils étaient dans les histoires. La disproportion eût été trop grande entre les deux parties de son horizon prophétique, celle qui était déjà passée au temps de l’auteur réel, et celle qui était encore cachée dans l’avenir. Le symbolisme qui était le langage approprié pour le thème futur et céleste, s’imposait donc aussi pour le passé, et même pour le présent. C’était comme la condition du genre ; ainsi tout s’harmonisait et l’avenir semblait sortir des données du passé. L’esprit du lecteur qui s’ingéniait à reconnaître des histoires connues dans les subtiles images dont il suivait le développement croyait en deviner la suite sans trop de peine ; le point de suture — le présent — contenait en germe les solutions prédestinées. Ainsi les allégories des divers animaux ou des semaines dans Hénoch, de l’aigle dans Esdras, de l’arbre dans Baruch.

Comme il ne s’agissait plus d’une vision rapide, suggérant un sens précis, mais de tout l’enchaînement des faits, le symbolisme succombait à la tâche. La même comparaison est obligée de se plier à des circonstances diverses, de se transformer pour exprimer des sens nouveaux ; cela ne se peut sans violence et sans bizarrerie. D’autres fois les images se succèdent, toujours plus étranges, pour exprimer l’inexprimable ; et, pour graduer l’horreur croissante des catastrophes, on aboutit à des exagérations qui ne font plus aucune impression, tant elles sortent de la réalité.

Le passé et l’avenir envisagés sous une même perspective, dessinés par les mêmes symboles, sous l’aspect de choses révélées d’une façon surnaturelle, ce n’est plus l’enchaînement des faits naturels ou volontaires, c’est le spectacle des œuvres de Dieu. Ce n’est pas que la causalité divine soit plus intime et plus profonde dans l’Apocalypse que dans la Prophétie ; elle y est pour ainsi dire étalée, exprimée par des ressorts extérieurs plutôt que pénétrée dans son énergie secrète. Le roi d’Assyrie n’était, pour Isaïe, qu’un instrument mis en branle par Dieu : telle une hache ou une scie dans la main de l’ouvrier[1].

    images, non des comparaisons, à moins que la comparaison ne soit un petit tableau en elle-même.

  1. Is. x, 15.