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Pouvait-on, par ce procédé, enseigner des choses bien nouvelles ? Il fallait, en tout cas, les corroborer d’une doctrine reçue et même d’une imagerie traditionnelle.

C’est une erreur très répandue, mais une erreur quand même, de se représenter l’apocalyptique comme l’explosion d’un système nouveau. En effet, même lorsqu’ils se mêlent de science, nos auteurs sont aux antipodes de la nature et de l’observation. Le livre d’Hénoch contient toute une partie destinée à expliquer le système du monde[1]. Il faut être très indulgent pour y voir avec M. Martin « un précieux témoin des premiers essais de construction scientifique[2] ». Rien de plus touchant que ces premières tentatives, balbutiement de la science si l’on veut, pourvu qu’elles contiennent un germe de progrès par une analyse attentive, ou même par le simple enregistrement consciencieux des faits. Mais le livre astronomique d’Hénoch est tout autre chose, et plutôt, comme M. Martin lui-même l’a très bien vu, le résidu des traditions hétérogènes de l’Orient ancien, un amalgame de traditions populaires mises au service du calendrier lunaire orthodoxe. Et c’est l’époque où déjà Ératosthène avait fondé la géographie scientifique, et où Hipparque découvrait la précession des équinoxes et mesurait presque exactement la distance de la terre à la lune[3]. On n’en demandait pas tant à un Juif ; mais ici encore il faut constater combien l’apocalyptique est loin des réalités et de la vie.

Volontiers on imagine ces voyants comme emportés par leur fantaisie, cédant sans doute trop facilement à ses élans déréglés, mais, à cause de cela même, originaux et neufs. Rien de plus faux, et c’est à peine si quelques combinaisons sont leur œuvre. Quand ils sortent de la tradition, ils sont rarement heureux. S’ils s’éloignent de la nature, ce n’est pas pour s’abandonner à l’inspiration d’un rêve créateur, c’est pour consulter les livres. Ces visionnaires sont les plus livresques des hommes. Il nous est facile de reconnaître, en comparant, par exemple, Hénoch à la Bible, à quel point ils sont dépourvus d’invention, jusque dans le choix des expressions[4]. Il nous est

  1. lxxii-lxxxii.
  2. Le livre d’Hénoch, p. xxiv.
  3. Hipparque a fait ses observations de 161 à 120 av. J.-C. Le livre astronomique d’Hénoch est probablement antérieur à 135.
  4. C’est ce que M. Martin a très bien reconnu : « Le Livre d’Hénoch tout entier témoigne d’une profonde connaissance de l’Ancien Testament. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la table des textes qui termine ce volume, pour comprendre à quel point ses auteurs se sont inspirés de toutes ses parties, depuis les premiers chapitres de la Genèse jusqu’aux derniers prophètes et aux livres sapientiaux, et surtout d’Isaïe et de Daniel » (Le livre d’Hénoch, p. c. M. Auguste Sabatier n’a pas exagéré en écrivant que « l’apocalypse est à la prophétie