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bien permis de supposer qu’ils ont consulté d’autres livres, aujourd’hui perdus, qui auraient poursuivi le développement des idées cosmogoniques de la Bible.

Le style devait être en harmonie avec ces conditions du genre. On ne peut guère le comparer qu’au style révolutionnaire, singulier mélange d’enthousiasme pour les temps nouveaux et de citations pédantes, passionné, convulsif, enivré, dirait Platon, du vin pur de la liberté, et hérissé d’allusions classiques à l’histoire des Grecs et des Romains. Encore le monde nouveau des sans-culottes était-il déjà commencé ; celui des apocalypses devait descendre du ciel. Le voyant veut être sublime, puisque son sujet l’exige, et il n’est souvent qu’emphatique ou érudit. Il y a de tout dans ce style, sauf le naturel et la simplicité. Il n’est tout à fait sincère que lorsque l’homme se découvre sous le voyant, ému de sentiments vrais : la haine, souvent atroce, de ses ennemis, une ardente sympathie pour ses compatriotes malheureux, l’anxiété d’une foi qui veut demeurer inébranlable ; parfois même, mais seulement dans l’apocalypse d’Esdras, il atteint à une vraie beauté, lorsque, au lieu de décrire froidement les choses du ciel, il s’arrête, frémissant d’angoisse, devant le mystère insondable du mal. En lisant les apostrophes enflammées du Coran, on croit entendre l’écho de certains apocryphes : rien n’est plus éloigné de la simplicité touchante des Évangiles.

Parmi les grandiloquences du style apocalyptique, celle peut-être qui nous frappe le plus, qui nous transporte dans une sphère absolument merveilleuse et surnaturelle, parce que nous ne sommes pas habitués à ces figures, c’est l’emphase qui associe la nature inanimée aux événements de l’histoire. Et quand nous disons la nature inanimée, nous nous plaçons encore à notre propre point de vue, car l’origine première de ces métaphores remonte à un temps où on la croyait au contraire animée et susceptible des mêmes émotions que les hommes. C’est surtout le monde céleste, le ciel, le soleil, la lune et les étoiles, qui sont mis en branle dans des circonstances qui ne sont pas toujours le craquement dernier du monde et son renouvellement.

Ces manières de parler se trouvaient déjà dans la Bible. A propos de la prise de Babylone par les Mèdes, on lit dans Isaïe :

    ce que la Michna est à la Thora ». Il a dit aussi très justement:« C’est l’idée abstraite qui toujours crée l’image. Celle-ci n’est grotesque qu’au point de vue de l’art plastique. Jugée du point de vue rationnel où elle a été composée, elle est ingénieuse comme une allégorie soutenue. Vous vous croyiez emportés dans le domaine de la poésie féerique ; vous n’êtes que dans celui de l’abstraction historique. » (L’apocalypse juive et la philosophie de l’histoire, dans la Revue des ét. juives, t. XL, p. lxv-lxxxvi).