Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/75

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fort déréglées. On méprise leurs mœurs, on condamne leur culte et leur religion ; ils sont réprouvés d’avance. Il leur était licite de se convertir et d’obtenir leur pardon, mais on avait trop souffert de leur dureté ou de leur indifférence pour désirer sincèrement une conversion générale qui les aurait rendus dignes du bonheur. Malgré tout ce sont toujours des êtres d’une nature inférieure. Quand l’apocalypse daigne s’occuper d’eux, ou bien elle les condamne en bloc, ou bien elle les traite comme ils ont traité Israël. Dans certains cas ils paraissent associés à la félicité du peuple élu, mais on peut toujours croire que c’est à titre de serviteurs, ainsi que les textes le font voir quand ils s’expriment clairement. Ils n’ont aucune ressource pour opérer leur salut, s’ils ne sont pour ainsi dire greffés sur Israël.

Et si l’indifférence était assez pour les Gentils, quand ils n’étaient que des peuples étrangers, de quelle haine ne poursuit-on pas maintenant les persécuteurs et les renégats ! Une partie de la félicité des justes consistera à se venger de leurs adversaires, ou du moins à se réjouir de leur châtiment : « Les rois et les puissants, en ce temps-là, périront et seront livrés aux mains des justes et des saints » [1]… « Je les livrerai aux mains de mes élus ; comme la paille dans le feu et comme le plomb dans l’eau, ainsi ils brûleront devant la face des saints, et ils seront submergés devant la face des justes » [2]… Les justes de l’apocalypse d’Abraham crachent à la face de leurs ennemis et se réjouissent de leurs tortures[3].

Esdras, dira-t-on, est bien éloigné de ces sentiments de haine. La pensée d’une origine commune de tous les hommes en Adam lui est familière ; il sait que Dieu aime les âmes qu’il a créées ; leur perte le touche et même l’accable. Lui-même cependant regarde comme le deuxième degré de la félicité de voir les tourments des impies[4]. Aussi bien son saisissement en songeant à la perte du plus grand nombre est-il surtout spéculatif ; il ne comprend pas l’incroyable pullulation du mal qui doit fatalement entraîner les hommes à la damnation. Il prend soin de nous dire que Dieu aurait pu se contenter de la fidélité d’Israël, si Israël avait consenti à lui donner cette satisfaction. Il ne s’intéresse qu’à Israël, et son Dieu aussi, qui avait tout créé en vue d’Israël. C’est pour le peuple élu qu’il interroge trois fois, et les trois allégories ne s’occupent que de lui. Il n’envie pas pour Israël la

  1. Hén éth. xxxviii, 5.
  2. Hén éth. xlviii, 9 ; cf. xci, 12 ; les pécheurs seront livrés aux mains des justes.
  3. Apoc. d’Abraham, xxix ; xxxii.
  4. vii, 93.