Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/88

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mène aussi intéressant qu’isolé, mais tout à fait inexplicable, si on ne veut se contenter d’une explication obvie : Le tableau comprend des traits empruntés aux interpolations chrétiennes. Cet élément perturbateur éliminé, il ne reste plus de Messie lévitique, mais seulement l’affirmation du grand rôle joué par Lévi dans la personne des Asmonéens, par Lévi regardé avec Juda, et avant lui, comme l’instrument du salut national et religieux, et, tout au plus, mais cela est fort douteux, l’esquisse d’un grand prêtre extraordinaire, revêtue de couleurs messianiques. D’après l’auteur, le salut, commencé par les victoires des Macchabées, sera complet lors de la venue de Dieu sur la terre pour la juger ; on compte surtout sur les princes grands-prêtres, que l’on exalte, mais sans oublier tout à fait les promesses faites à Juda, et cette eschatologie est tout à fait semblable à celle du livre des Jubilés, ce qui est sa meilleure garantie d’authenticité.

De tout cela il importe de fournir la preuve.

La prééminence de Lévi ne peut être contestée, en présence des textes nombreux qui le font passer avant Juda, et elle ne peut, selon toute vraisemblance, provenir d’une pensée chrétienne. « Dieu a donné le pouvoir à Lévi, et à Juda avec lui » [1]. Siméon dit à ses fils : « Qu’ils ne pourront prévaloir contre Lévi, parce qu’il combattra la guerre du Seigneur et vaincra toute votre armée » [2]. Le patriarche ajoute : « Obéissez à Lévi et à Juda parce que c’est d’eux que le salut se lèvera pour nous » [3]. Dan prévoit que dans l’avenir ses fils seront infidèles au Seigneur, irrités contre Lévi, et engagés dans la lutte contre Juda. Mais ils seront impuissants, car l’ange du Seigneur sera le guide des deux tribus, qui seront toute la consistance d’Israël[4].

  1. Rub., vi, 7 : τῷ γὰρ Λευὶ ἔδωκεν ὁ Θεὸς τὴν ἀρχὴν [καὶ τῷ Ἰούδᾳ μετʹ αὐτοῦ] ; on peut admettre avec M. Charles que les mots entre crochets sont interpolés.
  2. Sim., v, 5 : Ἀλλʹ οὐ δυνήσονται πρὸς Λευὶ ἀντιστῆναι, ὅτι πόλεμον Κυρίου πολεμήσει καὶ νικήσει [πᾶσαν] παρεμϐολὴν ὑμῶν.
  3. Sim., vii, 1 : Καὶ νῦν, τέκνα μου, ἐπακούσατε τοῦ Λευὶ καὶ τοῦ Ἰούδα… ὅτι ἐξ αὐτῶν ἀνατελεῖ ἡμῖν τὸ σωτήριον, – cf. Lév., ii, 11 : Καὶ διὰ σοῦ καὶ τοῦ Ἰούδα ὀϕθήσεται Κύριος τοῖς ἀνθρώποις. Mais, à la rigueur, ce passage pourrait être une allusion à l’Incarnation.
  4. Dan, v, 4 : Ἐγὼ οἶδα ὅτι ἐν ταῖς ἐσχάταις ἡμέραις ἀποστήσεσθε τοῦ Κυρίου, καὶ προσοχθιεῖτε τῷ Λευί, καὶ πρὸς τῷ Ἰουδὰ παρατάξεσθε, ἀλλʹ οὐ δυνήσεσθε πρὸς αὐτούς· ἄγγελος γὰρ Κυρίου ὁδηγεῖ ἑκατέρους, ὅτι ἐν αὐτοῖς στήσεται ὁ Ἰσραήλ. Ce trait a une portée particulière. Ceux qui soutenaient l’origine chrétienne des Testaments expliquaient l’association de Lévi et de Juda du double caractère sacerdotal et royal de Jésus-Christ, d’après le fragment de saint Irénée, qui, s’il est authentique, dérive plutôt des Testaments : Ἐξ ὧν ὁ Χριστὸς προετυπώθη καὶ ἐπεγνώσθη καὶ ἐγεννήθη· ἐν μὲν γὰρ τῷ Ἰωσὴϕ προετυπώθη· ἐκ δὲ τοῦ Λευὶ καὶ τοῦ Ἰούδα κατὰ σάρκα ὡς βασιλεὺς καὶ ἱερεὺς ἐγεννήθη (Fragm. XVII, éd. Stieren, I, 836-837, ap. Charles). Mais ici, il n’est fait allusion qu’aux tribus comme groupes, et ce temps où la force d’Israël est dans Lévi et dans Juda ne peut être que le temps des Macchabées.