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dans le Nouveau Testament, en supposant, à tort selon nous, que c’est Jésus ou S. Paul qui sont les imitateurs. Il est cependant possible que l’interpolateur chrétien n’ait pas procédé seulement par l’addition de petites phrases, et, dans un ouvrage où les passages chrétiens sont nombreux, il est plus sage de déclarer chrétien ce qui se retrouve dans les évangiles ou dans S. Paul que de leur supposer un initiateur de génie inconnu jusqu’à présent.

Mais tout n’est pas d’origine chrétienne. Nous avons un point de repère solide, c’est la comparaison, quand elle est possible, avec le livre des Jubilés ; or elle porte surtout sur la suprématie de Lévi, qui est bien un élément juif, et qui suffirait, à elle seule, à établir que l’ouvrage est antérieur au christianisme et date du temps des Asmonéens. De là son importance.

Elle serait hors de pair, s’il était vrai, comme le prétend M. Charles, qu’il témoigne d’un bouleversement complet dans l’évolution des idées messianiques. Selon ce savant distingué, qui s’est appliqué plus que personne à l’étude des Testaments, pendant trente ou quarante ans l’espérance d’un Messie descendu de Juda fut abandonnée en faveur d’un Messie descendu de Lévi. On pourrait même tracer le tableau des prérogatives de ce Messie : « Il serait exempt de péché (T. Jud. xxiv, 1) ; il marcherait dans la douceur et la droiture (T. Jud. xxiv, 1) ; établirait un nouveau sacerdoce sous un nom nouveau (T. Lév. viii, 14) et serait aussi un médiateur pour les Gentils (T. Lév. viii, 14 corrigé) ; il serait également prophète du Très-Haut (T. Lév. viii, 15) ; roi sur toutes les nations (T. Rub. vi, 11.12 ; T. Lév. viii, 14) ; combattrait contre les ennemis nationaux d’Israël et contre Béliar et les puissances du mal (T. Rub. vi, 12 ; T. Lév. xviii, 12 ; T. Dan v, 10), et délivrerait les captifs faits par lui, à savoir les âmes des saints (T. Dan v, 11) ; ouvrirait le Paradis aux justes (T. Lév. xviii, 10 ; T. Dan {sc|v}}, 12), et donnerait aux saints à manger de l’arbre de vie (T. Lév. xviii, 11). Bien plus, il donnerait aux fidèles le pouvoir de fouler aux pieds les esprits mauvais et de lier Béliar (xviii, 12), qui serait jeté dans le feu (T. Jud. xxv, 3), et le péché serait aboli (T. Lév. xviii, 9)[1] ».

Si cette esquisse de M. Charles était exacte, on y reconnaîtrait l’image la plus fidèle de Jésus-Christ, sauf les guerres nationales, et il faudrait s’étonner de rencontrer à cette date une conception si ferme d’un Messie investi d’une mission religieuse si haute, plus encore que du transfert de l’espérance de Juda à Lévi. Il y aurait là un phéno-

  1. The Testaments..., p. xcviii.