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raison d’être : il répondra à un besoin par la continuité du tragique, quoique ce dernier ait perdu sa puissance dominatrice. Mais dans son apparition nouvelle, il doit se transformer.

Les Futuristes l’ont fortement senti et exprimé dans leur mani­feste. Une transformation logique n’est néanmoins pas possible tant que les arts qui y collaborent ne se soient mués en Plastique Nouvelle.

Le théâtre trouve encore sa raison d’être en constituant pour un grand nombre de spectateurs une réunion de tous les arts qui, en agissant simultanément, donnent au théâtre le pouvoir de nous émouvoir plus fortement et plus directement que chaque art séparé. Il peut causer l’émotion par la beauté ou par l’extériorisation plastique du tragique. C’est ce qui caractérise le théâtre et l’opéra d’autrefois et d’aujourd’hui. Même, si nous comptons également le décor, le théâtre serait une triple, l’opéra une quadruple expression plastique de la tragique.

La Plastique Nouvelle ne veut plus de tragique plastique, mais l’expression plastique du beau — du beau en tant que vérité. Elle veut extérioriser la beauté abstraite. Elle pourrait créer une ambiance de beauté abstraite par la Nouvelle Chromoplastique dans l’architecture qui remplacerait le vieux décor. Pour l’opéra, la Musique Nouvelle agirait pareillement.

l’Art nouveau du verbe pourrait précéder le « beau en-tant-que-vérité » par des contraires de la plastique verbale. Même on pourrait « dire » le verbe sans que la figure humaine apparût.

Ainsi, le théâtre pourrait devenir la grande instigatrice du « nouveau » par des représentations en « Plastique Nouvelle ». Mais on y renoncera encore longtemps pour les grandes difficultés matérielles que cela comporte, car tout devant s’y présenter sous une apparition entièrement nouvelle, cela exigerait une préparation formidable.

Le théâtre attendra donc jusqu’à ce que les autres arts se soient transformés : alors il suivra-tout naturellement.

Le rapport équilibré, dont l’ancien théâtre était l’extériorisation plastique négative, « apparaît dans le nouveau ». L’effort vers l’harmonie se montre dans l’ancienne tragédie, mais elle s’exprime plastiquement par une dysharmonie ou une harmonie fictive.

Dans l’art nouveau, la Danse (ballet, etc.), suit la même voie que le Geste et la Mimique. Elle passe de l’art dans la vie. On renoncera au spectacle de la danse car on réalisera le rythme par soi-même. Les danses nouvelles, en dehors de l’art, le tango, fox-trot, etc., révèlent déjà un peu l’idée nouvelle d’équilibre par opposition de l’un et de l’autre. Ainsi, il devient possible de ressentir physiquement la réalité équilibrée.

Les Arts Décoratifs disparaissent dans le Néo-Plasticisme, tout comme les Arts Appliqués : le meuble, la poterie, etc., naissent par l’action simultanée de l’Architecture, de la Sculpture, et de la Peinture nouvelles et se règlent automatiquement d’après les lois de la Plastique Nouvelle.

Ainsi, par l’esprit nouveau, l’Homme lui-même crée une beauté nou­velle, tandis que dans le passé il ne faisait que chanter ou exprimer plastiquement la beauté de la nature. Cette beauté nouvelle est devenue indispensable à l’homme nouveau car il y exprime sa propre image en opposition équivalente. L’ART NOUVEAU EST NE.

Paris 1920.