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LE NÉO-PLASTICISME

Principe Général de l’Equivalence Plastique


Quoique l’art, d’une part, soit l’expression plastique de notre émotion esthétique, nous ne pouvons pas en conclure que l’art ne serait que « l’expression esthétique de nos sensations subjectives ». La logique veut que l’art soit l’expression plastique de tout notre être : qu’il doit donc être également l’apparition plastique du non-individuel qui en est l’oppo­sition absolue et annulante — que, d’autre part, il doit être l’expression directe de l’universel en nous, c’est-à-dire l’apparition exacte de l’universel en dehors de nous.

L’universel ainsi compris est ce qui est et reste toujours : pour nous le plus ou moins inconscient, en opposition du plus ou moins conscient — l’individuel, qui se répète et se renouvelle.

Tout notre être est aussi bien l’un que l’autre : l’inconscient et le conscient, l’immuable et le muable, naissant et changeant de forme sous leur action réciproque.

Cette action contient toute la misère et tout le bonheur de la vie : la misère est causée par la séparation continuelle, le bonheur par la renaissance perpétuelle du changeable. L’immuable est au-dessus de toute la misère et de tout le bonheur : c’est l’équilibre.

Par notre immuable, nous nous confondons avec toutes les choses, le muable détruit notre équillbre, [sic] nous limite et nous sépare de tout ce qui est autre que nous. C’est de cet équilibre, de l’inconscient, de l’immuable que l’art vient. Il atteint son expression plastique par le conscient. Par cela, l’apparition de l’art est l’expression plastique de l’inconscient et du conscient. Elle montre le rapport de l’un et de l’autre : elle change, mais l’art reste immuable.

Il est possible que dans « la totalité de notre être », l’individuel ou l’universel domine, ou bien que l’équilibre entre ces deux soit approché. C’est cette dernière possibilité qui nous permet d’être universel en tant qu’individu : c’est-à-dire d’extérioriser l’inconscient consciemment. C’est alors que nous voyons et entendons universellement car nous nous sommes élevés au-dessus de la domination du plus extérieur. Voyant la forme de l’apparition extérieure, écoutant les bruits, les sons, les paroles, ceux-ci nous apparaissent autres que par notre vision et audition universelles. Ce que nous voyons ou entendons réellement est la manifestation directe de l’universel, tandis que ce que nous apercevons en dehors de nous comme forme et son, se montre affaibli et voilé. Si nous cherchons l’expression plastique nous exprimons notre perception universelle et par cela notre être universel, comme individu : donc, l’un et l’autre en équivalence. Se trouver au-dessus de la forme limitative, et employer néanmoins la forme délimitée et la parole matérialisée, n’est pas une véritable mani­festation de notre être, cela n’en est pas la pure expression plastique : une nouvelle expression plastique est inévitable, une apparition équivalente de l’un et de l’autre, donc une expression plastique en rapport équilibré.