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Tous les arts s’efforcent d’arriver à la plastique esthétique du rapport existant entre l’individuel et l’universel, le subjectif et l’objectif, la nature et l’esprit : donc, tous les arts, sans exception, sont plastiques. Malgré cela, ne sont considérés comme arts plastiques que l’Architecture, la Sculpture et la Peinture, parce que l’on ne vit que dans l’individuel conscient. Mais, pour l’inconscient, une expression musicale ou verbale n’est pas moins plastique que celle des autres arts. L’expression plastique pure se manifeste par l’inconscient, tandis que c’est l’expression plastique dans la forme délimitée que crée et qui représente l’individuel conscient.

Jusqu’à présent, aucun des arts n’a été purement plastique parce que le conscient individuel dominait : tous étaient plus ou moins descriptifs, indirects, approchants.

L’individuel, dominant en nous et en dehors de nous, « décrit ». L’universel en nous aussi, mais seulement s’il n’est pas assez conscient dans notre conscient (individuel) pour arriver à l’apparition pure.

Tandis que l’universel en nous devient de plus en plus conscient, que l’indéterminé croît vers le déterminé, les choses en dehors de nous gardent leur forme indéterminée. De là la nécessité, au fur et à mesure que l’inconscient (l’universel en nous) s’approche du conscient, de trans­former constamment, de mieux déterminer l’apparition capricieuse et indé­terminée du phénomène naturel.

Ainsi, l’esprit nouveau anéantit la forme délimitée dans l’expression esthétique et reconstruit une apparition équivalente du subjectif et de l’objectif, du contenu et du contenant : une dualité équilibrée de l’universel et de l’individuel et avec cette « dualité-dans-la-pluralité », elle crée le rapport purement esthétique.

On a l’impression que la Littérature et la Musique par la description et la paraphrase suivaient les arts dits plastiques. L’inverse également : ces arts plastiques semblent suivre l’esprit romantique et symbolique de la Littérature et de la Musique. Tant que l’on employait la forme naturelle comme moyen plastique, on pouvait comprendre cette tendance vers la description, surtout dans la Sculpture et la Peinture. Cette forme naturelle voile l’expression plastique directe de l’universel, parce que le subjectif et l’objectif n’y sont pas en équivalence plastique. Les expressions plastiques de l’un et de l’autre se confondent.

L’apparition, plastique naturelle se présente comme, corporéïté. (Voir De Stijl, an. 1, art. 4, Organe hollandais du Néo-Plasticisme.)

Celle-ci s’exprime, plastiquement, comme une sphéricité qui voudrait être plane ou bien comme un plan qui serait forcé d’être sphérique ; comme une courbe tendant vers une droite ou une droite que l’on forcerait d’être courbe.

Cette expression plastique n’est donc pas équilibrée.

On essayait d’atteindre l’équilibre par la composition, mais par une composition voilée dans la représentation et le sujet. Ainsi, c’était parce que l’on employait des moyens plastiques impurs que la Sculpture et la Peinture arrivaient à la description.

De même, le moyen plastique de l’Art du verbe est ainsi devenu impur (forme) et suit, par conséquent, la même voie que les arts dits plastiques. Là aussi l’on essayait d’exprimer le contenu du tout par para­phrase et non par le verbe lui-même. Le verbe — assemblé en phrase — s’affaiblissait comme pluralité homogène. On s’exprimait à l’aide du symbole. Néanmoins, il existe des mots, plusieurs mots même qui, par leur force propre et leurs rapports mutuels, peuvent exprimer les deux principes de l’être. Dans tous les arts, l’objectif combattait le subjectif, l’universel l’individuel : l’expression plastique pure, l’expression des­criptive. Ainsi, l’art tendait vers la plastique équilibrée.