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LE POISSON D’OR

Puis, avec une sourde colère :

— J’ai acheté à la nation, monsieur ! j’ai mes titrer en règle ! je suis ferré à glace… à glace ! Voyez-vous bien, vous êtes dans les clabaudages jusqu’au cou ! Sans pièces, on ne peut pas soutenir un procès. Je joue cartes sur table, moi. Mes contrats sont chez M. Le Hordec, notaire à Lorient, et il y en a plein trois cartons… Oh mais ! Oh mais ! Je veux bien faire la charité à cet innocent, M. le mousse ou M. le comte mais si on me pousse à bout, morbleu !…

Il s’interrompit brusquement. Depuis une minute, je jouais avec la quittance de douze mille francs que je tenais pliée entre mes doigts. Il était de ceux que le papier timbré attire et fascine. Certes, il ne pouvait deviner l’étrange importance de cette pièce, mais elle lui sautait aux yeux, en quelque sorte ; elle le troublait, il n’en pouvait détacher son regard.

— Monsieur Bruant, lui dis-je d’un ton qui le fit tressaillir, vous nous avez dépouillés cruellement. Voici longtemps que nous n’avons plus besoin de notaire, et nous pouvons nous passer de cartons pour serrer la seule pièce qui nous reste.

Je tenais la quittance entre l’index et le pouce. Je vis de grosses gouttes de sueur qui perlaient sous ses cheveux gris.

Ses prunelles, tout à l’heure incolores, mais qui maintenant avaient d’ardents reflets, essayaient de percer l’épaisseur du papier, C’était un regard de chat-tigre, et j’eus conscience un instant de n’être pas en sûreté vis-à-vis de cet homme.

Le papier disparut dans ma poche.

Il fit un effort pour sourire.

— Je suis bon, grommela-t-il, je suis trop bon. Ils