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LE POISSON D’OR

très basse et avec un singulier accent de résolution. J’ai été domestique. Les chiens aiment leur maître : je ne suis pas un chien. On dit que les Penilis étaient bons pour leurs serviteurs. Est-ce que je sais ? Quand j’étais tout petit, chaque fois qu’un cheval ruait devant moi et jetait son cavalier, je disais : C’est bien fait ! S’il allait plus loin, écrasant la tête d’un coup de pied, je criais : À la bonne heure ! Mais c’est tout ; le cheval qui se venge de son maître ne peut pas prendre sa place et devenir cavalier à son tour. Ce n’est jamais qu’un cheval.

Il n’y a que l’homme pour se venger comme il faut. La vengeance, c’est d’hériter. Pendant dix ans, j’ai rêvé de coucher dans les draps du comte de Chédéglise.

Voilà le poisson d’or, c’est d’être riche avec l’argent de ceux qui vous ont humilié. On le pêche comme on peut. Moi, j’y ai risqué ma peau bravement. Qu’ils fassent moitié de ce que j’ai fait, ceux qui m’appellent propre à rien ! Et ceux qui me traitent de fou, qu’ils essayent de jouer mon jeu !

Combien payeriez-vous la présence d’un témoin, monsieur Corbière ? Vous entendrez cela tout seul : j’ai acheté les biens de Chédéglise à ma manière. C’est le couteau, ce n’est pas l’hameçon qui pique le poisson d’or ? Allez m’accuser devant les juges, ils ne vous croiront pas. Vous êtes seul : j’ai de l’argent. Jamais je ne me suis si bien amusé que cette nuit. Vous saurez tout, et ce sera comme si vous ne saviez rien. Dites un mot, et vous allez en prison ! Pas si fou, hein ? J’aurai Mlle Jeanne ; les Keroulaz ont été insolents avec moi au temps jadis. À la revanche !

Dieu m’a vu. Il n’a donc ni bras ni jambes, puis-