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LE POISSON D’OR

pour m’épouvanter. Et qui sait si je n’aurais pas trouvé réponse, même à cela ? Je suis rusé comme un singe, hé ! hé ! vous verrez bien ! Pas plus fou que vous, dites donc ! Voulez-vous parier trois francs que tout s’arrangera, en fin de compte, et qu’elle sera Mme Bruant bel et bien ? C’est mon idée ; quand j’ai une idée, je n’en démords pas, c’est moi qui vous le dis !… Et vous aurez perdu mille louis avec une caisse de vin d’Espagne !

Je ne savais plus que penser. Il y a des folies qui raisonnent. Les yeux du Judas devenaient hagards de plus en plus, mais son effrontée divagation était pleine de logique, et sous le décousu de sa parole il y avait une argumentation serrée.

— Avez-vous sommeil, monsieur Corbière ? me demanda-t-il tout à coup en fixant sur moi sa prunelle moqueuse. Moi, je ne cache pas que je passerais bien encore une petite heure à causer avec vous. Rapprochez votre chaise, pour écouter la confession d’un mourant… hé ! hé ! c’est curieux… Je n’ai confiance qu’en vous et je ne voudrais pas d’oreilles indiscrètes derrière les portes. Je n’ai jamais dit à personne comment se fait la pêche du poisson d’or. Ce sera pour vous tout seul. Y êtes-vous ?

Son sourire essayait toujours de railler, mais un voile de pâleur tombait sur son visage. Je rapprochai mon siège et je dis :

— J’y suis.

Un instant je pus croire qu’il allait reculer, car il hésita visiblement et ses paupières vibrèrent avant de se baisser. Mais elles se relevèrent ; ses yeux gris avaient changé d’expression et brillaient d’un feu sombre.

— Chacun son tour commença-t-il d’une voix