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LE POISSON D’OR

Comment faire ? Comment forcer les autres à croire ce dont, par instants, je doutais moi-même ?

Moi qui avais la preuve ! moi qui ne pouvais fournir à autrui aucune preuve !

Comme je n’avais rien pris depuis la veille au soir, ma mère et ma femme vinrent me chercher, à l’heure du souper, et m’entraînèrent d’autorité dans la salle à manger. Ici commença une autre comédie : maman Corbière avait vu dans la journée le curé de la paroisse de Toussaints, et le premier vicaire était venu rendre visite à ma femme.

— Vois un peu comme on fait des jugements téméraires, fils, me dit la maman : ce M. Bruant est un homme charmant !

— Un peu original, ajouta ma femme en se touchant le front, et qui dans ces moments-là parle un peu à tort et à travers… mais un saint, au fond !

— Un saint ! répétai-je.

— Écoute donc, reprit la mère, il paraît que tes Keroulaz ne sont pas le bout du monde, et pour quatre homards que t’a donnés ce petit pataud de Chédéglise…

Je lançai un maître coup de poing à la table. C’est le seul que j’ai eu à me reprocher depuis ma naissance, mais il faillit me briser les doigts.

Maman Corbière, mesdames, était une excellente et généreuse créature, et M. le curé qui l’avait endoctrinée était aussi la perle des bons cœurs !

Je devinai, dès cette première minute, je vis le flot des influences prêt à monter autour de moi et à me submerger. M. Bruant n’avait pourtant passé qu’une journée à Rennes, mais pendant que je me brûlais le sang dans mon cabinet il avait travaillé.