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LE POISSON D’OR

main. La croisée restait ouverte, à cause de la chaleur étouffante ; on entendait tous les bruits du dehors la danse des sabots, l’inépuisable haleine du biniou, les cris des buveurs, les rires des jeunes filles, et par-dessus tout le grand murmure de la mer, car il ventait du bas et il y avait tempête au large.

Pendant plusieurs minutes, M. Keroulaz garda le silence ; il semblait rêver. J’attendais.

— C’est bien vrai, dit-il tout à coup, répondant à sa propre pensée, un temps qui fut, je souhaitai de me venger. L’homme a tué mon fils avant de me voler mon dernier morceau de pain. On voit clair à l’heure de mourir, allez monsieur Corbière l’homme a tué ! Mais voilà bien des jours que je me sens faiblir, faiblir : c’est l’âge un peu, beaucoup la peine. Depuis bien des jours aussi, je ne me sens plus de colères ; Yves, mon cher fils, était un chrétien : je le vois dans le ciel… La première fois que vous m’avez parlé de transaction, monsieur Corbière, vous avez fait bien du mal à mon orgueil. Souvenez-vous : ils ont pu couper nos têtes, mais non pas les courber. Il y a des mots que nous ne comprenions pas, nous autres, les vieux gentilshommes de la Bretagne. Transiger, c’est céder. Nous avions dans le cœur la rude devise que l’Anglais nous a empruntée : « Dieu et mon droit. » Pauvre parole, monsieur Corbière ! Quand on a dit Dieu, il ne faut rien ajouter.

Voilà un mois, comme disant nos bonnes gens, j’ai lavé mon linge pour le grand voyage. Mon confesseur m’a grondé de n’avoir pas ouvert à l’homme qui frappait à ma porte avec des sentiments de repentir, peut-être. J’ai donc ouvert quand l’homme est revenu.

— Ah m’écriai-je, vous avez vu M. Bruant !

— Plus d’une fois. Et quelque chose me dit que