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LE POISSON D’OR

je le reverrai encore, quoique mes heures soient comptées.

— Que vous a-t-il proposé ?

— Tous ses millions pour la main de ma petite fille, des actes de donation… ses poches sont toujours pleines de parchemins. Il souffre dès ce monde les tourments de l’enfer.

— A-t-il eu des accès de folie devant vous ?

— Il vient chez moi seulement quand sa manie le tient.

Comment supporte-t-il vos refus !

— Il pleure. Il me dit que ma fille souhaite de l’épouser. Il me supplie à genoux de ne pas le faire assassiner.

Parmi les bruits de la fête, une rumeur d’un tout autre genre monta ; cela ressemblait aux grondements de la mer, et ce n’était pas la mer. Quelques-unes d’entre vous, mesdames, ont ouï bruire dans nos mauvais jours la colère de la foule ? On n’oublie jamais cela.

M. Keroulaz et moi nous ne prîmes pas garde, mais pendant qu’il me donnait des détails sur les bizarres visites de Bruant, tantôt marchandant son pardon, tantôt menaçant du haut de son opulence, tantôt demandant grâce, sous le poids de ses terreurs, le tumulte augmentait au dehors et bientôt un nom se dégagea de ce concert de clameurs.

— Le Judas ! à l’eau le Judas !

— C’est lui dit le vieillard. Je le sentais venir.

La porte s’ouvrit violemment. Un homme entra, tout défait et plus pâle que le moribond lui-même. Ses cheveux se hérissaient sur son crâne et ses dents s’entrechoquaient avec un son de castagnettes.

Je n’avais jamais vu M. Bruant dans ses accès. Malgré les dernières paroles du grand-père, je le reconnus seulement à sa voix, quand il dit :