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LE POISSON D’OR

suis fou ! Il n’y a pas chez moi de testament postérieur ! Ni chez le notaire ! Rien n’est en règle ! S’ils me tuaient, ils auraient tout. Rends-moi mon bien, brigand ? brigand de Corbière, rends-moi mon bien !

Je pense que je fus le seul à entendre ces paroles que le Judas prononçait à son insu. Si j’avais été en tête-à-tête avec lui, ç’en était fait de moi. Ma torture ne dura qu’un clin d’œil, parce que Vincent, d’un côté, mes matelots, de l’autre, s’élancèrent à mon secours. Mais, pendant qu’on m’asseyait sur un fauteuil tout haletant et prêt à perdre connaissance, Bruant parvint à m’arracher le testament. Dès qu’il l’eut, profitant de la confusion qui régnait, il réussit à s’enfuir.

— Appuie partout ! cria Seveno en s’arrachant les cheveux ; nous faut l’écrit ! Deux pots à qui repêchera l’écrit !

Il se lança directement à la poursuite de Bruant, tandis que les autres enjambaient la fenêtre et franchissaient le mur du jardinet pour couper au court. Ils voulaient l’écrit, le testament ; toute cette fortune volée était pour eux dans l’écrit. Bruant n’avait qu’à courir !

Nous restions seuls dans la chambre, le grand-père, Vincent, Jeanne et moi. Le choc avait été rude ; mais on n’étrangle pas un homme en deux secondes, et j’étais déjà debout. Au dehors, une clameur formidable s’éleva. Il pouvait être neuf heures du soir ; c’était le moment de la danse ; la place était comble. Un millier de voix se mit à crier :

— À l’eau le Judas ! À l’eau à l’eau !

— Il faut le sauver, dit Jeanne à Vincent.

Et le grand-père ajouta :

— Ne laissez pas mourir celui qui est en état de péché mortel !