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LE POISSON D’OR

passion pour les titres, Bruant faisait timbrer exprès des feuilles de parchemin pour minuter ses moindres contrats ? Il voulait des pièces impérissables, et le papier, pour lui, n’était pas assez fort.

C’était bien un testament, un testament olographe en bonne et due forme. Malgré la clarté des dispositions qu’il contenait, pouvait-on le regarder comme le produit d’une heure de folie, ou bien n’était-ce qu’une machine de guerre, un moyen de parer à un mauvais cas, comme celui où précisément M. Bruant se trouvait aujourd’hui ?

Je ne prétends apprendre à personne ici qu’un testament est chose fragile. Pour révoquer le roi des testaments, il suffit d’un mot, d’une signature et d’une date.

Le testament ne produisit pas du tout sur moi l’effet qu’en avait attendu M. Bruant ; mais nos matelots, qui faisaient foule maintenant au dehors, battirent des mains en disant :

— C’est ça puisqu’il s’amende, il va mourir !

Je pris le parchemin d’un air froid et je le dépliai. Je vis d’un coup d’œil que M. Bruant y instituait Jeanne sa légataire universelle, sans restriction, codicille, ni condition. Lui mort, c’était tout ; tant qu’il vivait, ce n’était rien.

J’ouvrais la bouche pour dévoiler la grossièreté de la ruse et maintenir ma proposition première, lorsque M. Bruant poussa un cri étouffé. Il eut comme un vertige, et ses yeux s’injectèrent de sang. Avant que je pusse me mettre en défense, ses mains se nouèrent autour de ma gorge, Il m’étranglait avec fureur.

Et je l’entendais qui disait en serrant :

— Je suis fou ! Ah je vois bien de cette fois que je