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LE POISSON D’OR

et loin : quand il n’y a rien, on ne peut rien voir, pas vrai ? Pas de Judas !

Je voulais virer, pour le coup, cap sur Lorient, mais M. Vincent avait sa chanson ; il radotait « Mlle Jeanne m’a dit de le sauver. » C’est bon, mais il y a quarante brasses de fond dans le trou, et comment faire pour le sauver, s’il était déjà au fond de l’eau ?

Faut vous dire que le Trou-Tonnerre est la porte de chez Satan. On sait ça. Vous l’avez entendu bavarder tout à l’heure, qu’on dirait un demi-cent de canons qui chuchotent tout bas. Ça vient de ce qu’il est fait en entonnoir avec une porte, et que quand le flot s’y engouffre : feu partout ! la mécanique éclate. À mi-marée devant la porte, le râtelier commence à découvrir. Le râtelier, c’est une rangée de dents pointues : des pierres comme de juste. En voilà assez, vous allez comprendre. Depuis un petit moment on n’entendait plus le Judas, et je disais : C’est rapport au tintamarre, ou bien qu’il est parvenu à prendre terre, quoique la roche soit haute et lisse comme un mur.

Mais voilà un cri d’étranglé « Au secours ! au secours ! » Où ça ? Dans le trou même. Ma parole l’enragé avait passé avec la lame par-dessus le râtelier.

Moi, je lui réponds :

— Repasse, matelot, puisque tu as passé : nous allons te jeter une ligne.

Alors, son ramage ordinaire :

— Canailles ! caïmans ! peaux-bleues ! Vous ne l’aurez pas ! vous ne l’aurez pas !

— C’est égal. J’amarre un plomb au bout de ma meilleure ligne, et je parviens à le lancer juste dans le trou.

— Empoigne ! je lui dis.