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LE POISSON D’OR

l’eau la tête la première. Il aborde le ratelier : v’lan la lame le toque contre les roches, et je me sens la sueur froide partout le corps. Mais, avant que j’aie seulement jeté mes souliers, il s’est rattrapé aux dents et il a repiqué une tête dans la tasse.

Il y a plus drôle que la ligne, vous allez voir ! C’est connu que, pour pêcher le grand merlus du Trou-Tonnerre, faut un Chédéglise, le Chédéglise y était ; c’est connu qu’il faut au bout de la ligne la chair d’un chrétien, quand on n’a pas l’autre boîte que je n’ose pas nommer ici, entre la vie et la mort : y avait la chair d’un chrétien au bout de la ligne ; c’est connu que l’heure de minuit doit sonner… quoi ! vrai comme Dieu nous voit, minuit a sonné justement à la chapelle de Lokeltas-en-l’Ile.

Nous nous sommes regardés, les matelots et moi. Au douzième coup, M. Vincent a crié :

— Je le tiens ! soulage !

Et nous avons halé c’te bête-là, qu’est bien le poisson d’or, ayant sous son gilet l’écrit qui vaut des millions et des milliasses ! Comme quoi, je trouve ça farce et vous, Monsieur l’avocat ?

Ayant ainsi parlé, patron Seveno, tout en fumant sa pipe, laissa tomber de sa boîte de corne, sur le dos de sa main, une copieuse prise de tabac, après quoi il glissa dans le coin de sa bouche une chique de taille vénérable qui enfla sa joue comme deux fluxions. On n’est pas parfait : patron Seveno avait une grande quantité de mauvaises habitudes.

Du train dont nous allions, il ne nous fallut pas plus d’une demi-heure pour atteindre la jetée de Larmor. La côte était déserte et tranquille ; les fêtes, dans nos campagnes bretonnes, ne durent pas jusqu’à une heure