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LE POISSON D’OR

Veuillez comprendre cela, et nous n’avions pas le pain quotidien.

Dans ces livres nouveaux qui font vos délices, dans ces pièces de théâtre dont vous faites le succès, voulez-vous me dire ce qu’on voit toujours et toujours, ce qui rend le dénoûment joyeux, ce qu’on désire tout le long de la lecture ou de la représentation, ce qui arrache, en un mot, les applaudissements de la fin ? c’est le châtiment du crime bien plus encore que la récompense de la vertu. L’homme est ainsi ; j’en suis fâché, mais qu’y faire ?

Je vous mets au défi, vous personnellement, madame, de prétendre que vous n’êtes pas enchantée chaque fois que l’auteur a la bonne inspiration de mettre une arme vengeresse dans la main du fils de la victime. Ces élégants volumes épars sur votre guéridon admettent tous la loi du talion ; Œil pour œil, dent pour dent ! crient-ils. La Comédie-Française le répète en beaux vers ; sur tous les tons, l’Opéra le chante : c’est la suprême jurisprudence de l’art.

Eh bien ! Vincent de Chédéglise n’était pas à votre hauteur ; c’était un pauvre doux jeune homme, brave comme un lion, il est vrai, mais chrétien des pieds à la tête, et Jeanne de Keroulaz, imbue de ce travers, le pardon des injures, eût fait une bien triste héroïne de roman. Vous voyez si je la défends ! Oh ! ces deux-là, madame, le mari et la femme, Jeanne et Vincent, n’ont pas besoin d’avocat ! Dieu les aime et le monde les vénère. Votre sœur ne s’est point mésalliée.

Le citoyen Bruant avait tué le frère aîné de Vincent et le père de Jeanne. Jeanne ordonna de le sauver, essayant ainsi d’arracher une âme à la punition éternelle, et Vincent obéit.