rubans éclataient à tous les corsages et, en tournant mes regards vers la mer, je vis que toutes les barques aussi étaient pavoisées. C’était grande fête.
Chez M. Keroulaz, on ne m’avait prévenu de rien. Dans ces maisons de la douleur, on ne sait pas parler de fêtes. J’interrogeai une charretée de femmes dont le retentissant babil devait s’entendre à trois lieues au large, et il me fut répondu par dix bouches à la fois :
— Celui-là veut se moquer de nous ! Ça se peut-il qu’on ne sache pas que c’est aujourd’hui la bénédiction des Couraux, la messe des sardines et le pardon de la mer ?
— C’est un Français ! ajouta-t-on avec tout le mépris suprême contenu dans cette outrageante dénomination.
Et la charretée de bonnes femmes continua de descendre vers la côte, en s’étonnant que Dieu, auteur de tant de belles choses, eût commis cette erreur de créer aussi des Français !
Je regardai mieux et je fus distrait un instant, car le spectacle prenait des proportions grandioses. Au milieu du splendide décor, une mise en scène inattendue se faisait. Des deux côtés de l’écueil la Jument, marqué par une tour noire, la rade vomissait une véritable cohue de barques grandes et petites, toutes chargées à couler bas. Il y en avait de mille sortes, depuis le lourd bateau de passage jusqu’à la barque de pêche appelant de son énorme misaine la brise qui ne venait point, depuis l’humble plate du douanier jusqu’aux vaniteux canot, tout rempli de dames voyantes et protégées par la marine de l’État ; depuis le sloop de plaisance, fin, haut voilé et lesté à outrance, jusqu’à