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LE POISSON D’OR

Ce n’était pas à moi que je songeais. Il n’y avait, oh ! je l’affirme, rien de personnel dans ma préoccupation. Et néanmoins, tant il est vrai que l’égoïsme est l’essence même de notre nature, c’était moi qui étais, à mon insu, au fond de ma propre émotion. Je m’explique : tout enfantement dégage une fièvre, et cette heure était grosse de ma destinée. Mon étoile baissait, dirais-je, si je n’étais trop peu de chose pour avoir une étoile.

Pendant que je m’efforçais, sollicitant mon cerveau comme s’il eût été en mon pouvoir de convertir à mon gré les faits de la cause ou la conscience du tribunal, un grand mouvement commença de se faire autour de moi, à Gavre où j’étais, au village de Larmor, dont les vitres brillaient parmi les roches sur l’autre rive et aussi sur les grèves lointaines de l’île de Groix, silhouette sombre au milieu de la mer enflammée. Le long des sentiers, des groupes nombreux descendaient égayés déjà par le cidre, malgré l’heure matinale. Les hommes étaient en plein costume des dimanches : je ne connaissais pas encore le langage de ces costumes si variés et pour la plupart si beaux, proclamant au loin le pays de ceux qui les portaient ; sans cela, j’aurais reconnu d’un coup d’œil le noir uniforme d’Hennebon, la chemise plissée de Carnac, le vaste bragou-bras de Belz, où le démon bâtit un pont pour saint Cado en une nuit, et le feutre chevaleresque des gars de Saint-Anne l’Auray. Quelques-uns venaient de bien plus loin encore avec leurs femmes, semblables à des bonnes sœurs, allant à pied d’un pas viril, quand elles n’étaient pas juchées sur de hauts chevaux de labour ou entassées dans des charrettes dont les essieux travaillaient avec des cris d’aigle. C’était fête. Les