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Page:Le poisson d'or.djvu/71

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LE POISSON D’OR

règle, ayant suivi constamment le sentier de l’honneur avec probité. »


Cette lettre m’étonna médiocrement. Pendant mon séjour à Lorient, je n’avais jamais rencontré M. Bruant ; je ne le connaissais même pas de vue, mais je le savais par cœur. Du haut de leurs millions ces gens ont peur très souvent ; leur conscience est comme un enfant dans les ténèbres, elle frissonne au moindre bruit.

Le récit du patron Seveno m’avait donné dès l’abord la clef du caractère de M. Bruant. Mon enquête sourde et patiente, qui marchait depuis un an, confirmait de tout point mon impression première : M. Bruant était un coquin admirablement doué pour réussir en un milieu ignorant, à une époque troublée : il était effronté, mais prudent ; il était astucieux, mais naïf. Je n’aimerais pas vous voir sourire, mesdames, quand je vous dirai que sa fable du poisson d’or au ventre cousu et décousu était imaginée fort heureusement et prouvait un tact peu ordinaire. Cela devait réussir, et sous l’incrédulité même de Seveno il restait un doute.

Je parle ici au point de vue populaire. Devant la justice, M. Bruant avait tous ses titres en règle, et cela suffisait.

Pourtant il n’était pas tranquille. J’étais homme de loi ; je le gênais ; il voulait m’avoir. Entre nous deux, notez bien ceci, la guerre était déclarée tacitement ; il le sentait ; une guerre à mort. Son avarice seule, dont je vais parler tout à l’heure, l’avait empêché de parlementer plus tôt.

Il était avare incomparablement et avec cette naïveté qui était le fond de sa nature. Je prononçais