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LE POISSON D’OR

rendit plus ombrageux et presque fier. Bien loin de se fâcher, le bonhomme descendit d’un cran et prit à tâche de diminuer ses familiarités à mon égard. Ses matelots, mes camarades, firent comme lui. J’étais toujours mousse à bord de la Sainte-Anne, mais il arrivait souvent qu’on me parlait le bonnet à la main. Monsieur l’avocat, il faut voir pour comprendre ce qu’il y a de brave bonté dans ces cœurs-là.

Je fus malade un mois, pas tout de suite, mais quand vous eûtes quitté Lorient, bien malade ; ma plaie était mauvaise, elle eut grand’peine à se fermer. Il y avait toujours auprès de moi un de nos marins qui veillait à mon chevet comme ma mère. J’avais le meilleur médecin de Lorient. Un jour que le docteur avait hoché la tête en examinant ma blessure, Seveno eut des larmes plein les yeux.

— Il faut te repiquer, Vincent, me dit-il. Les temps sont meilleurs, et tu coucheras peut-être bientôt dans le lit de ton père.

Je lui fis signe d’approcher et je lui dis à l’oreille :

— Je voudrais la voir avant de mourir.

Il savait tout, et ce n’était pas grand’chose allez, ce tout-là, monsieur l’avocat. Mon secret était que j’allais à la nuit sous les croisées de Mlle Jeanne et que je brûlait des cierges à Notre-Dame de Larmor pour son bonheur. Nous ne nous étions jamais parlé. Keroulaz et Chédéglise sont cousins, mais, outre que j’étais tombé bien bas, il y avait eu entre les deux familles des procès et des querelles main armée. Mlle Jeanne me connaissait un petit peu, cependant. Elle rougit quand Seveno la pria de venir me voir. Certes, elle eût accordé cette grâce à tout autre malade. Sa vue me fit mieux que toutes les médecines. Dès qu’elle fut partie,