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Page:Le premier cartulaire de l'Abbaye cistercienne de Pontigny.pdf/35

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introduction.

permission[1]. Par contre certains donateurs permettent au monastère de défricher à condition de toucher une redevance sur les terres nouvellement essartées[2].

Mais, contrairement à l’opinion longtemps émise par certains selon laquelle les moines cisterciens par leurs défrichements furent des agents de peuplement, les granges de Pontigny ne semblent pas être à l’origine de centres nouveaux d’habitat dans de nombreux cas, l’abbaye, respectant la règle fondamentale de la réforme cistercienne qui est le retour au « désert », obtint de ceux qui la comblèrent de dons, la promesse de faire partir de la terre donnée tous les hommes qui y vivaient et de n’y jamais construire de nouvelles maisons. En 1146, par exemple, Hugues et Salon de Bouilly vendent à l’abbaye une terre, des bois et des noues sis à Sainte-Procaire, en assurant les moines de faire déguerpir de ces biens leurs hommes, et même de détruire leurs maisons[3]. Ainsi, loin d’encourager le peuplement, le monastère amena sur ses terres le retour au « désert et chassa les populations locales pour rester seul. Parfois même, pour satisfaire ce désir de solitude des moines, le donateur est obligé de dédommager ses hommes, telle comte de Nevers[4]. C’est surtout, semble-t-il, dans les régions proches de l’abbaye, et principalement dans la grange de Sainte-Procaire[5], que Pontigny manifeste le plus nettement cette aspiration. Cependant, plus loin, dans la forêt d’Othe, près de la grange de Bœurs, le comte de Troyes, Henri, s’engage, par une charte particulière, à ne jamais construire de maisons sur les terres que possède Pontigny dans ces régions[6]. Il ressort aussi de la lecture du cartulaire que l’abbaye sut conserver intactes de nombreuses zones boisées qui lui étaient nécessaires pour y faire paître son bétail dans la forêt d’Othe, dans la région de Villiers et d’Aigremont, plutôt que de trop étendre les terres labourables, elle chercha à garder de larges pâturages bien délimités, parfois même en les entourant de bornes.

Au total, le cartulaire nous offre une vue très succincte et tronquée de l’organisation administrative du temporel de Pontigny et du personnel qu’elle installa dans ses granges pour exploiter ses biens. Cependant les divisions mêmes du livre des possessions de l’abbaye et quelques brèves allusions glanées dans les actes nous laissent entrevoir à Pontigny une exploitation cistercienne traditionnelle avec ses granges peuplées de convers aidés de quelques laies et dirigés par un cellerier.

Le xiie siècle a donc été pour l’abbaye de Pontigny celui de la naissance d’un puissant domaine foncier et de son extension grâce, essentiellement, aux aumônes de la noblesse locale et à la protection du roi et des princes voisins. Ce fut aussi l’époque de l’installation de toute une administration qui se cristallisa autour de quelques points situés au cœur de chaque groupe

  1. No 82.
  2. nos 84,89.
  3. No 88 : … in fide sua promiserunt memoratus Hugo et frater ejus terram ipsam ab habitatione hominum suorum immunem et incultam facerent et domos ipsorum, cumpace, eorum a toto territorio auferrent.
  4. N°85.
  5. nos 85, 105.
  6. No 78.