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XCVII

Ainsi parlait un soir certaine mijaurée
Sous les riches lambris de sa maison dorée :

« Comme vous vous trompez, mes amis, en croyant
Que, pour choisir mon lot, le sort fut clairvoyant !
Que m’importaient, à moi, l’or, trompeuse chimère,
Et la coupe d’honneurs dont la lie est amère ?…
J’eusse aimé noblement la tribulation,
La pauvreté, la lutte et l’immolation !…
On m’encense, on m’envie… Eh bien, moi, je jalouse
La tâche, les labeurs et la part de l’épouse
Qui fait tout le chemin nu-pieds sur les cailloux,
Ses enfants sur les bras et servant son époux !
Je jalouse ces gueux, poétiques figures,
Sans toit, sans feu, sans lit, fiers comme des augures !
On se dit, en voyant leur étrange tribu
Qui couche sur le sol et semble errer sans but :
« Oh ! ceux-là sont heureux ! » Mais que vois-je ? ô surprise !
Ma robe fait un pli ! mon chignon se défrise !
À peine l’on a mis sept bûches à mon feu !
Six plats à mon dîner et trois vins, c’est trop peu !
À la privation je me heurte sans cesse,
Et je trouve partout accident qui m’oppresse ! »