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ÉTUDES D’OISEAUX

Ils sont alors tout à fait près du sol, se posent en masse, et le cadavre de cheval ou de chameau disparaît bientôt, littéralement, sous une nuée de vautours qui se battent ; crient, luttent pour arriver à la bête. Les ailes sifflent, s’entrechoquent, l’air vibre sous ces puissants coups d’ailes ; c’est un chaos indescriptible, qui ne dure pas longtemps au reste, car peu d’instants après tous ces rapaces s’éloignent à petits pas : le festin est fini, la bête est dévorée, engloutie. Cinq minutes ont suffi à la trombe affamée pour manger un cheval. Il ne reste plus que le squelette de l’animal, bien nettoyé, net comme une préparation zoologique, que corbeaux, milans et percnoptères sont en train d’épurer.

Ils sont ensuite tous posés à terre à une cinquantaine de pas du squelette, alourdis, le bec au vent, le gésier démesurément gonflé, occupés à digérer.

Ils resteront ainsi quelques heures tranquillement à terre, si rien ne vient les déranger ; puis, au bout de ce temps, un à un, ils repartiront avec une peine extrême, en courant contre le vent souvent pendant plus de cent pas, volant péniblement ras terre, et finalement, se trouvant en pleine vitesse, reprenant leurs orbes immenses et ne les quittant que pour prendre une direction rectiligne, et se perdre lentement dans le bleu de l’horizon.

Voilà le vautour ! n’est-ce pas splendide, ce vol ! Et ce n’est pas une faiblesse qui m’est particulière ; tous ceux que j’ai vus devant ce spectacle sont hypnotisés, les initiés comme les profanes. Celui qui ne comprend rien au vol est arrêté par l’étrangeté de ce mode de locomotion ; cela trouble l’habitude du sauvage tout comme du civilisé de voir un corps se mouvoir dans l’espace de cette façon-là ; cela dérange ses facultés mécaniques, il ne connaît pas ce genre de translation et c’est pour cela qu’il le suit des yeux.