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ETUDES D’OISEAUX

Que l’homme est petit devant la tempête !

Et entre deux embruns on aperçoit ce démon d’oiseau filant gaiement, sans effort, gracieusement même, sur cette écume rugissante ; s’élevant avec la montagne d’eau et, arrivé au sommet, redescendant ses pentes, explorant ses vallées, se perdant dans ses dépressions. Puis au loin on le voit reparaître devant la crête d’une vague monstrueuse qui crève avec un bruit de tonnerre, et ce spectacle terrifiant n’est pour lui qu’un sujet de joie, car c’est le flot qui apporte et étale devant lui les animalcules marins dont il se nourrit.

Par cette mer démontée, il est impossible à cet oiseau de songer à se poser sur l’eau ; il serait roulé par chaque lame qui déferle. On doit présumer que, quand la nuit approche, il doit gagner des parages où l’eau est moins secouée. Cela doit lui être facile, porté par un vent qui a souvent plus de vingt mètres, il doit être en une heure à plus de trente lieues de là.

C’est un bien étrange oiseau, d’allure tout à fait curieuse.

Les mouettes sont presque des animaux domestiques ; lui est un sauvage, tellement en dehors de l’influence de l’homme qu’il semble l’ignorer. L’homme, au reste, lui rend la pareille. Je n’ai jamais pu décider les gens de mer à causer longuement sur son compte : ils le craignent.

Le montrant un jour à un quartier-maître des Messageries, vieux loup de mer, il me fut répondu ceci « Ne causons pas de cet oiseau, il porte malheur ; quand on le voit, on peut compter ses chemises. Locution qui, dans la Méditerranée, indique que le temps n’est pas beau ».