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LE VOL SANS BATTEMENT

son domaine incontesté et cela, de par le droit de l’étroitesse de ses ailes : lui seul peut voler par ce temps de perdition.

Aussi les marins l’ont bien remarqué ; c’est, suivant les points, le satanique, l’oiseau des tempêtes, et une foule d’autres noms tout aussi peu rassurants.

Son aisance dans le vol est grande par ce vent d’orage. Il devient confiant, chassé à quelques mètres du navire et ne bat plus des ailes. Des pointes de ses rémiges il palpe la vague, enlève avec le bec, en plein vol, dans cette eau qui semble être en ébullition, tant elle est fouettée par le vent, des choses qui n’ont pas été rejetées du bord.

Il ne suit pas le navire, mais marche parallèlement à lui, dédaigne les détritus du bateau, très rares au reste par ce temps où les fourneaux ne sont pas allumés et ne vit que de produits marins.

C’est bien le satanique qui se complait dans la désolation.

Tout est fermé à bord, tout est serré, arrimé ; le pont est balayé par les coups de mer.

Dedans, le bâtiment craque, gémit comme une bête surmenée. Il faut se tenir aux rebords de sa couchette pour ne pas tomber.

En haut, les hommes ont leurs grosses bottes et leurs vêtements de toile cirée. Les officiers étudient anxieusement les convulsions de la grande tourmentée, sans peur assurément, mais avec cette tristesse fatale qui est 1e propre des gens de mer.

Pas un bout de toile aux mâts !

La cheminée blanchie par le sel fume comme une enragée : il faut pouvoir résister à ce vent debout qui retarde la marche. Et tout danse, et tout hurle, mâts, vergues et cordages. D’énormes paquets de mer embarquent à chaque instant.