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CAUSERIES

comme si elle était posée sur ses pieds, poussant de loin en loin son petit cri étrange et volant à travers les promeneurs.

Ce n’est pas gros une sterne ; cependant j’en ai vu une privée et libre à Nice qui, chaque fois qu’elle volait, stupéfiait tout le monde par le charme singulier qu’elle déployait dans la manière de se mouvoir. Elle produisait sur tous un effet attractif curieux ; au vol, on la suivait des yeux ; posée, on faisait cercle autour d’elle et on contemplait longuement cette petite merveille.

L’impression que produit l’oiseau mutilé ou en cage n’est pas agréable ; il n’attire pas. Passez devant une de ces loges du Jardin des Plantes où est prisonnier un de ces splendides rois des airs, vous serez d’abord suffoqué par une odeur repoussante, puis vous verrez un oiseau immobile, replié sur lui-même, regardant vaguement par delà l’horizon, rêvant les cimes neigeuses, ses grands mélèzes noirs, ses chasses ardentes et son grand ciel tout à lui. Quand il est libre, tant qu’il est couché ou qu’il marche, on a un instant d’illusion, mais dès qu’il ouvre les ailes et montre son malheur, son aile coupée on plaint malgré soi le pauvre estropié et on passe plus peiné que satisfait. Mais, en place, quand on le sait pourvu de ses organes de liberté, l’attention est de suite surexcitée ; on attend, on espère un départ, un soulèvement qui vous montrera une tournure inconnue dans la manière de se mouvoir des êtres ; puis, quand on l’a vu, on veut le revoir, surtout si on a eu le spectacle d’un de ces grands maîtres dont l’allure est tellement étrange qu’on ne s’y habitue jamais.

Il serait bien facile de faire sur le bord de la mer quelque chose de charmant et relativement à peu de frais. Ainsi, par exemple, choisir une petite anse naturelle entourée de rochers, pas bien grande, quelques

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