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CAUSERIES

d’une compréhension si facile que le désir de l’imiter revint d’une façon impérieuse.

Je considère la vue d’un pareil spectacle comme un danger sérieux pour tout cerveau bien organisé pour l’analyse mécanique. Evitez-le donc tant que vous le pourrez, fermez plutôt les yeux afin de ne pas voir.

Si, par malheur, vous êtes infesté, oh ! alors, allez franchement à l’étude, saturez-vous des évolutions des maîtres, voyez souvent, toujours, vous ne saurez jamais trop.

Certainement que cette aspiration de l’intelligence vers la réalisation de ce problème poétique a été un grand mal pour beaucoup de gens. Que de ruines, de temps perdu, d’espérances détruites ! Oui ; c’est vrai, assurément. Mais il y a bien dans tout tableau un coin de ciel bleu. Le penseur étreint aussi fortement ne l’est assurément pas sans éprouver quelque jouissance. Cette pensée qu’il cache ordinairement, mais c’est au fond la joie profonde de son cœur ; ce mal est une douce caresse ; il craint sa passion, sa folie, mais il l’adore et ne peut réussir à l’oublier. Il a eu le malheur d’avoir été charmé par le planement, ce n’est pas un crime.

Ce rythme néfaste poursuit comme certains airs dont on ne peut se débarrasser. C’est un amour particulier de ce genre de mouvement, qui est, au reste, comme tout amour, une maladie ; il ne s’éteint qu’avec le temps, à la condition, cependant, qu’on ne reverra pas. Mais, si on revoit, on est bien, franchement perdu : lutter est impossible.

Heureusement, on avance, on y arrive, on le tient corps à corps, ce terrible problème.

Autrefois, il y a vingt ans, il y avait honte et déchéance à avouer une infirmité morale pareille ; aujourd’hui, il n’en est plus ainsi, on peut presque s’en vanter, et au premier succès on en sera félicité.