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BŒUFS ROUX

n’avait pas osé formuler une invitation, il se hasardait de nouveau ; et il allait se hasarder, cette fois, à la demander en mariage, il y était décidé.

Ce ne fut pas sans une grande émotion que Dosithée le revit, et durant toute la messe elle se demanda avec inquiétude :

— Vient-il encore pour me voir ? Ou bien, a-t-il jeté les yeux sur une autre jeune fille de la paroisse ?

Sincèrement elle ne désirait pas le voir, et elle souhaitait de toute son âme qu’il eût jeté son dévolu sur une autre qu’elle-même. Car elle avait également vu avant la messe Léandre Langelier qui l’avait saluée très galamment et s’était informé de sa santé. Il lui avait même rappelé avec un tact parfait l’entretien que tous deux avaient eu sur la plage, il avait avoué tout l’exquis souvenir qu’il en avait gardé et il espérait bien qu’avant longtemps le hasard lui fournirait une nouvelle occasion de passer quelques instants en sa compagnie. De son côté Dosithée n’avait pu garder secret tout le plaisir qu’elle avait eu de cette rencontre qu’elle n’oubliait pas. Il s’était donc manifesté entre eux une entente tacite de se revoir, et à leur insu une trame d’amour commençait à se tisser.

Après la messe, lorsque Dosithée quitta l’église en compagnie de sa mère, elle aperçut près de la porte, mais à l’intérieur du temple, le jeune médecin. Il avait les yeux sur elle et souriait. Il l’attendait. La jeune fille rougit et faillit se trouver mal. Mais elle se domina et essaya de sourire quand le jeune homme lui offrit l’eau bénite. Oh ! comme elle aurait donné gros pour éviter cette rencontre ! D’autant plus que, mêlé aux premiers groupes des paysans rassemblés sur la place de l’église, elle vit Léandre Langelier qui, lui aussi, paraissait l’attendre.

Le jeune médecin offrit également l’eau bénite à Dame Ouellet, s’informa de sa santé et de celle de Phydime, et demanda :

— Madame, voulez-vous me permettre de vous enlever mademoiselle Dosithée ? Je vous promets de vous la ramener de suite…

Il souriait avec grâce.

Il fallait bien avouer que c’était un garçon charmant, et Dame Ouellet, pour sa part, n’aurait pu lui refuser rien.

— On sait bien, monsieur le docteur, que vous pouvez l’enlever ! se mit-elle à rire.

Dosithée souriait maintenant avec sa candeur coutumière, et son sourire aurait pu être interprété par le jeune médecin comme un assentiment à se laisser enlever.

On se trouvait sur le perron de l’église et, naturellement, tous les yeux étaient fixés sur le groupe du médecin, de Dosithée et de Dame Ouellet. Et celle-ci, qui avait deviné les desseins du jeune homme, ajoutait :

— Seulement, vous nous laisserez prendre les devants, Phydime et moi, afin que j’aie le temps de préparer le dîner pour votre arrivée. Je vous conseille donc de ménager vos chevaux.

— Madame, reprit en plaisantant le médecin, c’est mademoiselle qui commande ici, et je conduirai mes chevaux selon qu’elle le voudra, du moment qu’elle accepte, bien entendu, de monter avec moi.

Et en même temps que ces dernières paroles il posa ses yeux interrogateurs dans les yeux incertains de la jeune fille.

Elle, très à la gêne devant tous les regards braqués sur elle, et surtout devant ceux de Léandre, qu’elle ne regardait pas, mais par qui elle se savait observée, répondit d’une voix émue :

— Oui, oui, monsieur, j’accepte…

Et elle tourna ses yeux très humides vers les attelages des paysans attachés le long du mur du cimetière et à l’ombre des peupliers. Elle vit les deux chevaux gris du médecin et le dog-cart.

— Si vous voulez attendre un moment, reprit le jeune homme, je vais aller chercher ma voiture.

— Inutile, monsieur, dit vivement Dosithée, je vous suis à votre voiture.

Elle voulait échapper à la curiosité publique.

Il lui offrit son bras. Elle l’accepta d’une main tremblante, mais sans s’y appuyer… elle ne fit que l’effleurer.

Quelques minutes après elle roulait avec le médecin vers le Petit Village par la route de l’Anse. Alors seulement elle se sentit à l’aise et se retrouva toute entière.

Il va s’en dire que les commentaires n’avaient pas moisi, et tout le reste de ce jour on ne parla plus dans la paroisse que du mariage futur du jeune médecin avec la fille de Phydime Ouellet. Mais ce mariage, comme tant d’autres, que se plaît à faire la rumeur populaire, était loin d’être accompli.