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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/42

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LA PETITE CANADIENNE

— La jolie trouvaille que nous avons faite hier soir !

— Diable ! s’écria Alpaca, j’y pense seulement !… Où donc avais-je la tête ?

— Vous l’aviez toujours à la même place, cher Maître. Seulement, cette délicieuse Miss Jane vous l’a quelque peu retournée !

— Miss Jane !… murmura Alpaca avec un profond soupir.

Miss Jane !… Oui, cher Maître, reprit Tonnerre sur un ton goguenard. L’angélique ou plutôt la diabolique Miss Jane qui vous fit oublier, monstre que vous êtes ! l’amoureuse Adeline. Fiez-vous maintenant, ô saintes femmes ! à la fidélité des hommes ! acheva Tonnerre avec une physionomie scandalisée.

— Adeline !… murmura Alpaca, rêveur. Adeline ! répéta-t-il en hochant la tête d’un air de profonde amertume. Celle qui, durant trente années de ma vie, n’a pas un instant quitté mon souvenir ! Oui, je l’ai odieusement trompée dans un moment de folie ! Je suis un infâme ! gronda-t-il sourdement. Oui, je suis un monstre, Maître Tonnerre ! Mes lèvres que je conservais pures pour cette fidèle et innocente Adeline, je les ai souillées aux lèvres de cette drôlesse qui s’appelle Miss Jane ! Misérable que je suis !… Ah ! mon Adeline adorée, pardonne-moi ! s’écria Alpaca avec un accent douloureux. Pardonne-moi, mon ange, d’avoir pressé sur ma poitrine cette femme-démon ! Pardonne-moi… et je pose ma main sur tes lettres sacrées qui à cet instant brûlent mon…

Alpaca s’interrompit net et toute sa physionomie se couvrit d’une mortelle pâleur. Avec une agitation fébrile il palpait le côté gauche de sa redingote.

Une plainte déchirante vint mourir sur ses lèvres, et il chancela…

Mais Tonnerre le soutint.

— Quel mal donc vous prend, cher Maître ? fit Tonnerre avec surprise.

— Maître Tonnerre, répondit Alpaca d’une voix défaillante. Elles… ne sont plus là !

— Elles !… Quoi donc ?

— Ses lettres vénérées !

— Est-ce possible ?

D’un geste brusque Alpaca introduisit la main dans la poche intérieure de sa redingote… cette poche était vide.

À sa pâleur succéda une ardente rougeur. Il baissa la tête et murmura dans un sanglot :

— J’ai perdu les lettres d’Adeline !

Une larme en même temps trembla au bord de ses paupières.

Cette larme émut terriblement Tonnerre.

Ne trouvant aucune consolation à présenter à son malheureux ami, il toussa, éternua, jura, sacra, et rugit avec une feinte colère pour cacher son émotion :

— Au diable cette poussière qui vous aveugle et vous étouffe ! Tenez, cher Maître de mon cœur, il serait fort à propos que nous vidions un verre de quelque chose : moi, pour me débarrasser de la poussière infernale qui assèche mon gosier, vous, pour noyer les nombreux remords qui vous assiègent. Est-ce dit ?

— Votre suggestion est merveilleuse, Maître Tonnerre. Cherchons donc un cabaret !

Les deux amis quittèrent la marquise du théâtre pour se mettre à la recherche du cabaret désiré.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il était midi précis, lorsque Tonnerre et Alpaca réintégrèrent leur hôtel.

Ils trouvèrent la salle générale encombrée d’une foule de gens qui s’agitaient et se bousculaient tout en parlant avec une animation qui ressemblait à de la frénésie.

Que se passait-il donc d’étrange dans l’hôtellerie ?

C’est ce que nos deux compères se demandaient déjà avec une extrême curiosité, lorsqu’ils avisèrent un hôte de l’établissement de leur connaissance. Ils s’enquirent aussitôt auprès de ce personnage de l’agitation qui bouleversait l’hôtel entier.

— Quoi ! s’écrit ce personnage avec surprise, vous ne savez pas la nouvelle ?

— Nous arrivons seulement de voyage ! dit Tonnerre.

— Ah ! je vois. Eh bien ! depuis ce matin, il se passe ici des choses extraordinaires.

— Vraiment ? fit Alpaca intéressé.

— Jugez-en ! Ce matin, la police était informée par une lettre anonyme qu’un nommé Kuppmein avait été séquestré dans une garde-robe de cet hôtel, puis assassiné. Cette garde-robe faisait partie de l’appartement loué par un certain Pierre Lebon, et ce Pierre Lebon avait disparu aussitôt de mystérieuse façon.

Alpaca et Tonnerre s’entre-regardèrent. Une terrible épouvante se peignait sur leurs traits.

Enchanté de l’effet que créait son récit sur ses deux auditeurs, l’homme poursuivit :

— Donc, deux agents de police venaient ce matin communiquer au gérant de l’hôtel la lettre anonyme. Ce fut donc une course vers le garde-robe mentionné dans la lettre.

— Qu’a-t-on découvert dans ce garde-robe ? demanda Tonnerre d’une voix tremblante.

— Précisément ce que mentionnait encore la lettre anonyme, répondit l’homme avec un sourire énigmatique.

— Un cadavre ?… s’écria Alpaca.

— Un cadavre… oui, mes amis. Et ce cadavre fut reconnu pour celui de Kuppmein en question.

— Par tous les testaments ! jura Tonnerre ébahi et terrifié à la fois.

— Juste ciel ! exclama Alpaca en joignant les mains et en levant les yeux au plafond.

— Naturellement, reprit l’homme, vous devinez bien qui est l’assassin de Kuppmein ?

— Mais non, répliqua naïvement Tonnerre. Comment pourrions-nous deviner, cher monsieur ?

L’homme eut un sourire.

— C’est bien simple, dit-il, puisque la garde-robe faisait partie de l’appartement loué par Lebon !

— Ah ! ah ! fit Tonnerre qui ne savait trop comment réfuter cette sorte d’accusation contre le jeune inventeur canadien.

— En sorte que, dit Alpaca d’une voix qu’il