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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/63

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LA PETITE CANADIENNE

c’est que notre position géographique respective ne nous permettait point d’entretenir des rapports de voisinage. Car nous étions voisins ; seulement, entre les Acadiens et nous il y avait des milles et des milles de forêts et de marécages, de traverse si difficile, qu’elle rebutait les plus entreprenants et les plus courageux. D’ailleurs, en ces temps reculés, nos ancêtres ne sortaient point de leurs paroisses ou de leurs villages, et il en était de même chez les habitants de l’Acadie. Les peuples Canadien et Acadien ont dont’ grandi côte à côte sans se connaître. Quoique remontant .à une même origine, ils forment deux groupes distincts, et l’on pourrait émettre qu’entre le Canadien et l’Acadien il y a une égale différence qu’entre le Français et le Canadien. On note avec curiosité cette différence, entre Canadiens et Acadiens, lesquels, pourtant, sont issus d’une même, race dont ils ont emporté en Amérique les moeurs, les usages et l’esprit. Et l’on se demande comment ces deux peuples ne sont pas demeurés ce qu’étaient les colons venus de France. La raison en est toute simple : les ancêtres, les premiers, se sont transformés. L’éloignement, un elimat nouveau, un sol vierge, les exigences d’un pays à l’état sauvage, le coudoiement de peuplades inconnues qui possédaient une autre langue et d’autres moeurs, tout cela réuni ne pouvait manquer de changer peu à peu le caractère de ces pionniers. Nécessairement d’autres méthodes de travail devaient être adoptées, d’autres usages allaient s’allier aux premiers en les transformant, de sorte que les moeurs, en général, prendraient un tour nouveau, que la langue même se modifierait dans le verbe et l’accent ; néanmoins, chose surprenante, tout ce mécanisme allait opérer de façon que ces deux peuples demeureraient français.

Si les Acadiens avaient reçu de la France les apports qu’en reçurent les Canadiens, il n’y a pas de doute qu’on retrouverait aujourd’hui l’Acadie française. Malheureusement, l’oubli qu’en fit la France et surtout les malheurs qu’ils subirent aux mains des Anglais, et, le pire de tous ces malheurs, leur expulsion de leur patrie et leur dispersion, ont failli éteindre complètement leur race. Aussi, peut-on compter aujourd’hui seulement quelque trois cent mille Acadiens éparpillés dans la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick,. l’Ile du Prince-Edouard, le Cap-Breton, les lies de la Madeleine, et quelques centaines de familles dans la province de Québec. Aujourd’hui, ce qui s’appelle les Provinces Maritimes seraient peuplées, pour plus des deux tiers, d’Aeadicns, en sorte que, d’Ottawa jusqu’à Halifax, on se trouverait en pays français.

Ce fut donc la plus grande calamité de ce peuple que son expulsion de sa patrie. Les auteurs de ce coup de main, ou, si l’on aime mieux, les écrivains américains qui ont voulu les blanchir, ont prétendu que le peuple acadien, en passant sous la domination anglaise, avait songé à émigrer au Canada, ce qui est aujourd’hui la province de Québec. Par leur nombre, les zXcadiens eussent, de ce fait, renforcé celui des Canadiens, et les Anglais auraient vu d’un fort mauvais oeil la réunion de ces deux groupes, puisqu’ils se trouveraient en face de défenseurs plus nombreux à combattre, quand ils viendraient pour s’emparer du Canada. Mais ce n’était pas la vérité. Jamais les Acadiens n’avaient songé .à s’expatrier. Ils avaient fondé une patrie qu’ils aimaient, avaient acquis des biens qui leur suffisaient, et, peuple simple, n’enviant aucune des richesses que pouvaient posséder les autres peuples, ils ne demandaient qu’à vivre de leur travail et sur la te.rre qu’ils avaient faite et qui les avaient vêtus et nourris.

Dans « l’Acadie Française », Benjamin Suite ne refait pas l’histoire de ce |x :uple malheureux ; il se borne à défendre, avec une vigueur admirable, le caractère de la race acadienne que des historiens étrangers ont déformé et à le rétablir dans sa réalité. Suite nous présente dans ce livre des pages magnifiques de vérité et de patriotisme le plus large et le plus pur. Tout en prenant la cause des Acadiens, il n’oublie pas celles des Canadiens que la calomnie n’a pas, non plus, manqués. Il fustige donc les calomniateurs de la belle façon, dévoile les basses intrigues des Bostonnais, rejette au fumier ceux qui ont voulu se servir du fumier, et remet en leur place d’honneur Acadiens et Canadiens. Tout comme le caractère d’un individu, celui d’un peuple est sujet au dénigrement dès que ce peuple aura porté envie. Dans la vie ordinaire nous voyons souvent tel individu jalouser son voisin, parce que celui-ci aura réussi là où l’autre aura échoué. Ce fut la jalousie qui souleva les habitants de la Nouvelle-Angleterre contre les Acadiens. Les