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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/62

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LA PETITE CANADIENNE

Comme nous n’avions nullement l’intention <ie revendiquer nos droits et notre véritable identité par la force des armes, il nous fallait, tout de même nous armer de quelque façon pour combattre avec avantage et pour résister aux attaques du peuple nouveau venu. Les meilleures armes ne pouvaient être que la plume et la parole, le livre et le journal. Mais il fallait aussi l’embrigadement des individus qui composaient notre nationalité, et c’est comment fut organisée la Société Saint-Jean Baptiste. C’était l’armée nationale, l’armée de la défense ! Aussi, elle méritait (pie son histoire fût écrite. Benjamin Suite se mit à l’oeuvre. Ses fondateurs, au reste, (et Dnvcrmiy. entre autres), méritaient un j lister hommage de notre peuple. Cette société devait servir de trait d’union entre tous les Canadiens de notre langue et de notre foi religieuse, et elle était nécessaire, pour rebuter les attaques incessantes du fanatisme racial et du sectarisme étranger. Il fallait absolument nous grouper, si nous voulions offrir un front solide. Si, durant nos « troubles », la Société Saint-Jean-Baptiste eût eu la force et le prestige qu’elle possède de nos jours ; si elle avait pu enrégimenter dans ses rangs et. sous ses bannières tous les adhérents quelle compte aujourd’hui, combien les perturbateurs et agitateurs anglais d’alors y eussent réfléchi avant que de s’engager dans la voie des dénigrements, des violences et des molestations ! Et. si même, en dépit de tout, nos < troubles » eussent éclaté, est-ce qu’avec notre société nationale nos « patriotes » n’a liraient pas été « armée. », au lieu d’être seulement < poignée » ? Il nous fallait peu de chose, alors, pour faire reconnaître notre « droit de cité » dans notre pays : dix mille de nos brave balayaient tout ce qui cherchait ?i nous balayer nous-mêmes ! Où étaient-ils, ces dix mille hommes ? Ils étaient là.,. Seulement, sans l’organisation nécessaire, il sc trouvait impossible d’en former des bataillons. Au surplus, les cadres, les premiers, manquaient ; et ceux des nôtres qui tentèrent de. diriger le « mouvement » possédaient si peu d’expérience dans le métier des armes, que nos paysans, timides mais non peureux, n’osaient leur emboîter le pas. Et les armes qui manquaient !... Autre chose : on ne comprenait pas très bien dans les campagnes ce qui se passait à Québec et à Montréal. On était loin de posséder, à cette époque, le système d’information que nous avons aujourd’hui, et notre paysan, illettré, ne pouvait compter (pie sur les rumeurs (pii couraient le pays. Et si 1 on ajoute qu’il ne s’était jamais occupé de politique, chose, à laquelle il n’entendait rien, comment pouvait-on l’entraîner à la revendication de ces « libertés politiques » que nous n’avions (pic théoriquement ?

Non !... Il faudrait encore un siècle, peut-être davantage, pour faire l’éducation politique Je notre, peuple. Aussi, n’est-ce (pie depuis une douzaine d’années que nous avons vu le « bloc de. Québec ». Et que dire de ce qu’il reste à faire encore, avant que notre nationalité, toute entière, soit complètement instruite des choses publiques ! Maisgrâces à Dieu ! nous avançons plus rapidement (pie jamais. Les deux prochaines générations. plus instruites, mieux éclairées, sauront achever l’oeuvre revendicatrice de nos pères. Qu’un ou deux autres Suite nous viennent, et nous verrons, enfin, paraître non le « Grand Soir », mais le « Grand Jour ». En attendant, la Société. Saint-Jean-Baptistc se maintiendra au poste pour combattre l’ennemi.

  • * *

Des Mélanges Historiques de Benjamin Suite, le volume intitulé « L’Acadie Française » est assurément le plus attachant. C’est là, dans ce récit, véritable mise au point, qu’éclate tout entier le vrai patriotisme que nous avons connu à Benjamin Suite. Gérard Malchelossc. dans un avant-propos fort bien pensé, et d’une juste hardiesse,, en nous remettant en mémoire les sanguinaires coups de main exercés contre des petits peuples sans défense, nous prévient d’ailleurs que « ces pages de l’Acadie Française sont toutes pleines du patriotisme de notre historien ».

Nous avons tous, ou à peu près, entendu parler du « Grand dérangement des Acadiens » en 17,55. Beaucoup d’écrits ont été publiés sur cet événement tragique. Après le poème poignant de Longfellow, sont venues les attachantes narrations des Casgrain, des Rameau, des Richard, des Poirier, des Laiivrière et d’autres. A tous ces récits Benjamin Suite ajoute des pages sonores qui retentissent de vérité.

Nul n’ignore qu’une même origine rapproche Canadiens et Acadiens ; et si pendant longtemps nous nous sommes réciproquement ignorés, nous qui, pourtant, étions des frères,.