Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’est pas destinée à être corrigée.
74
LA PETITE CANADIENNE

Allumant une veilleuse à forme contournée elle la plaça près de son « Rang », caressa son amulette et alla s’appuyer à la fenêtre. Au loin, clic distinguait le treillis métallique du pont Jacques-Cartier joignant les deux rives du majestueux fleuve, et, cn-deçà. les tours jumelles de Notre-Dame. Au bas de l’entassement des toits et des maisons, l’étroite rue s’allongeait de l’ouest à l’est, pratiquement déserte. Des ombres fugitives apparaissaient et disparaissaient à 1 encoignure des rues transversales. Tout près, du « Mandarin Inn », brillamment illuminé et rempli d’une foule bigarré»’ de demi-mondaines et de fils à papa noyant, .s’élevait les sons aigres d’un orchestre oriental ponctué du bruit as sourdissant des tam-tam, battant la mesure d’une danse désordonnée.

Ming-Lu-San pleurait. Ses larmes, comme une rosée bienfaisante, apaisèrent sa détresse. Quittant son poste d’observation elle s’accroupit près de sa veilleuse. Inclinant profondément la tête, elle murmura avec ferveur ses prières. Se relevant, triste, mais la joie dans l’âme, elle chuchota :

—Où êt ’s-vous grands yeux rieurs ! et toi coeur rempli île bonté pour l’oiseau blessé, ne te peneheras-tu pas sur ma misère ? Détachant son collier de jade, ses lèvres froides touchèrent les froides pierres. Soufflant sa lampe, sa tête fatiguée chercha l’appui d’un coussin. Des rêves, parsemés de papillons d’or et de libellules d’argent, peuplèrent son sommeil.

IV

Le procès fut expéditif. Ming, honorablement acquittée, fut remerciée par le juge pour sou acte de bravoure. Tout en se défandant, elle avait débarrassé le pays d’un grand criminel, qui, quinze ans durant, défia les plus habiles limiers du continent. Ming-Lu-San accepta l’hospitalité des soeurs Missionnaires de l’immaculée Conception, le coeur et l’âme remplis du souvenir du beau jeune homme qui avait suivi les débats de cette cause célèbre, mais déjà classée. Les lecteurs ont du se demander comment Sam Hong avait pu introduire ainsi cette jeune chinoise à Montréal, malgré la sévérité de nos lois d’immigration. Sam Hong, lors de son départ de San Francisco, s’en vînt au Canada comme professeur d’art et d’archéologie orientale. Au bout de quelques années il obtînt ses papiers de naturalisation. Lors d’un voyage en Californie en janvier lt)2~, il rencontra Fleur d’Aznr chez son frère et il s’en éprit violemment. L’ayant achetée, il se procura un faux certificat de mariage, ce qui lui permit de la ramener avec lui à Montréal.

Quant au héros de cette histoire, ce n’était autre que Louis Allain de Caraquet. Après un brillant cours d’études au collège des Eudistes. sentant en lui l’étoffe d’un artiste et d’un écrivain, attiré par le. mirage de la métropole, il y était venu plein d’espoir. L’apathie du publie pour les oeuvres littéraires, la difficulté de se trouver un éditeur et un bailleur de fonds l’avaient conduit au désespoir. Ses amis du quartier latin l’avaient aidé en autant que le leur permettait leurs faibles ressources. Sa fierté naturelle, la foi en son talent, et une fausse honte l’avaient empêché de faire connaître à ses parents le dilemme dans lequel il se débattait. Tiraillé par la faim il s’était rendu au mont-de-piété de Nicolaï Solaska pour y déposer d’une chaînette d’or richement ciselée, cadeau d’adieu de sa chère maman.

Le lecteur comprendra aisément après cette explication, comment il tomba entre les griffes de Sam Hong.

V

Par une belle matinée du commencement de mai 1929, la chapelle-chinoise de la rue Côté, brillamment illuminée et décorée de chrvsantèmes et de lotus multicolores, présentait un aspect inaccoutumé. Des nuages d’encens flottaient au-dessus de l’autel. Des chants étranges et inconnus remplissaient le saint édifice au lent accompagnement des guitares chinoises et du tam-tam. A l’entrée, quelques autos stationnaient. La foule tapageuse et gaie du quartier latin obstruait la rue. A dix heures, les portes de la chapelle s’ouvrirent. Radieuse, Ming-Lu-San apparut au bras de Louis Allain. Ses deux garçons d’honneur, Amable Audreux et Marc Descoeurs, accompagnés de deux jolis minois aux yeux obliques et au teint safran, le suïvaifeftt. Le succès avait enfin souri à Louis.../Un éditeur nouveau genre, poussé par un désir atavique de faire rayonner la pensée canadienne, non seulement au pays, mais même à l’étranger, offrait à. tous les talents naissants de présenter leurs écrits au grand public, à scs frais.