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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Alors seulement l’homme du cabinet voisin se mit à faire honneur aux mets qu’on lui avait servis une demi-heure auparavant et qui s’étaient fort refroidis. Il n’en parut manger pas moins avec une grande satisfaction, tout en ébauchant un sourire énigmatique.

Dix minutes plus tard les trois Allemands quittaient le Palace Café.

Quant à l’homme noir, il continua de manger, sans abandonner son sourire mystérieux.


IV

OÙ FRINGER ET GROSSMANN SE VOIENT DEVANCER DANS LEUR BESOGNE RESPECTIVE


Dans le bureau de James Conrad, Henriette Brière venait de terminer le petit travail supplémentaire que son patron lui avait demandé de faire.

Elle consulta à son poignet une petite montre retenue par un bracelet.

— Neuf heures moins quart… murmura-t-elle. Pierre devrait être sur le point de me téléphoner.

Son désir fut réalisé à la seconde même : l’appareil téléphonique posé sur le bureau du patron vibra.

La jeune fille le prit vivement.

— Est-ce vous, Pierre ?

— Oui, Henriette. Avez-vous terminé votre besogne ?

— Je viens de la terminer et je vous attends.

— J’y cours… un quart d’heure seulement et je serai là.

Quinze minutes plus tard le jeune inventeur pénétrait dans le bureau de Conrad.

Comme la conversation qui suivit n’intéresserait nullement notre lecteur, nous quitterons pour un instant les deux fiancés et descendrons sur la rue Saint-Jacques.

Depuis vingt minutes environ on aurait pu distinguer, sur le côté opposé de la rue et juste en face des bureaux de Conrad et Dunton, la vague silhouette d’un individu qui obstinément tenait ses regards fixés sur les fenêtres éclairées du cabinet de James Conrad. Ce soir-là, de tout l’édifice, hormis le vestibule d’entrée, c’était l’unique fenêtre éclairée.

L’homme qui regardait ainsi cette fenêtre était comme on le devine bien, l’allemand Fringer. Au bout de ces vingt minutes d’observation il murmura avec impatience.

— Le patron va-t-il coucher là ? Belle affaire, alors ! À moins que j’entre et lui demande très civilement de me remettre les précieux plans ? Ce serait certainement me tirer d’une faction bien ennuyeuse, et je ne manquerais pas d’en exprimer toute ma reconnaissance au gentleman.

Un sourd ricanement accompagna cette facétie.

Quinze autres minutes s’écoulèrent.

Puis Fringer détacha pour la première fois ses yeux de la fenêtre éclairée pour observer un tramway qui s’arrêtait à l’angle de la rue Saint-Georges, non loin de là. Du tramway un jeune homme sauta sur la chaussée et se dirigea rapidement vers l’édifice que Fringer surveillait et y entra.

— Encore un importun ! maugréa l’Allemand avec dépit.

Quelques minutes encore se passèrent.

Soudain, Fringer frémit d’aise en remarquant que la fenêtre de Conrad venait de s’obscurcir subitement.

— Allons ! soupirait-il, c’est pas trop tôt. Est-ce que les honnêtes gens ont maintenant des velléités de découcher ? Décidément le monde va mal !

Dès cette minute, ce fut sur la porte de l’édifice que se concentra l’attention du guetteur. Bientôt il en vit sortir une jeune fille et un jeune homme. Ce jeune homme, il le reconnut sans peine pour celui qui était descendu de tramway l’instant d’avant. Mais la vue de la jeune fille, qu’il ne connaissait pas, parut fort l’étonner.

— Tiens, tiens ! se dit-il, où je me trompe fort ou c’était cette demoiselle qui se trouvait là-haut. Misère !… ce que c’est que de manquer de flair ! Dire que j’aurais pu filer un bout d’amour à cette jolie fille… brune ou blonde… du diable ! si j’en vois la nuance ! Et cela, tout en trimant mes petites affaires ; car, selon moi, il n’est rien comme de joindre l’utile à l’agréable !

Un nouveau ricanement tomba de ses lèvres.

Le jeune homme et la jeune fille, qui n’étaient autres que nos amoureux Pierre et Henriette, remontaient la rue Saint-Jacques vers la rue Saint-Laurent. Mais à peine avaient-ils marché la longueur d’un bloc, qu’ils croisèrent un individu portant à la main droite une énorme valise. Cet individu marchait vite. Mais en arrivant près du couple il parut ralentir sa marche, et sur Pierre et Henriette il jeta un coup d’œil furtif. Puis, il accéléra sa marche. Pierre et sa fiancée n’avaient nullement remarqué ce passant, tout à leurs amours qu’ils étalent.

Cet inconnu fut bientôt devant l’édifice où se trouvaient les bureaux de Conrad et Dunton. Sans la moindre hésitation il poussa la porte et entra tout comme s’il se fût trouvé chez lui.

Au moment même où cet homme pénétrait dans l’édifice. Fringer quittait subitement son poste d’observation pour franchir la chaussée. Mais il s’arrêta et proféra un juron de colère en voyant l’inconnu à la valise entrer dans l’immeuble.

— Au diable, l’animal ! grommela-t-il. N’aurait-il pu attendre à demain pour apporter sa maudite valise.

Et, pestant, sacrant, Fringer se renfonça dans l’ombre et attendit.

Tout à coup il sursauta, frotta rudement ses paupières, écarquilla les yeux et gronda :

— Bon ! il ne manquait plus que ça maintenant… Cette fois, ça doit être le patron lui-même, ou le diable me brûle !

Et, les yeux fortement arrondis par la stupeur, sinon par l’inquiétude ou par la contrariété, il regarda la fenêtre du bureau de Conrad où la lumière venait de jaillir. Cinq minutes seulement se passèrent ainsi, puis la fenêtre retomba brusquement dans l’obscurité.