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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Un éclair de joie illumina le regard de Fringer, mais cette joie se changea aussitôt en déception et en courroux, lorsque le jeune homme vit Henriette revenir précipitamment vers l’édifice et entrer.

Disons que la jeune fille s’était aperçue qu’elle avait oublié sa sacoche au bureau, et elle revenait la chercher. Elle monta vivement l’escalier afin de ne pas faire attendre trop longtemps Pierre Lebon demeuré plus loin. Sur le palier du second étage elle croisa l’homme à la valise, et son cœur battit de surprise. Elle lança à cet homme un coup d’œil perçant. Mais l’inconnu s’engageait déjà rapidement dans l’escalier. Mais il ne passa pas si vite que la jeune fille n’eût le temps de remarquer que cet homme était grand, vêtu de noir, coiffé d’un melon et que sa figure était encadrée d’une barbe noire et touffue. Et l’énorme valise que cet inconnu tenait à la main n’avait pas manqué non plus d’attirer son attention.

Mais Henriette n’y prêta pas plus d’attention, et elle continua son ascension au troisième étage. Elle retrouva sa sacoche et redescendit aussitôt pour rejoindre Pierre Lebon.

Tout cela s’était passé en l’espace de quelques minutes seulement, mais tout cela avait excité au plus haut degré la curiosité et l’étonnement de Fringer qu’une perspiration abondante inondait.

Et quand il avait vu l’homme à la valise ressortir, puis Henriette peu après, il s’était dit avec un juron :

— Je veux être étouffé si ce n’est pas mon tour maintenant !

Et hardiment il gagna l’édifice.

Disons que certains de ces immeubles ne ferment leurs portes qu’à dix heures ; et, souvent, le gardien de nuit s’est absenté pour aller faire un bout de causette avec un verre à l’un des cabarets de la rue Notre-Dame ou de la rue Craig, toutes deux à un pas de la rue Saint-Jacques. Si bien qu’à certains moments, avant l’heure de la fermeture, l’édifice est tout à fait désert et l’entrée libre au premier maraudeur venu.

Ce fut donc sans encombre que Fringer atteignit le bureau de James Conrad.

Il sortit de sa poche une petite lanterne électrique, et à l’aide d’une clef que lui avait remise Kuppmein, il pénétra dans le cabinet.

Il avait si bien en mémoire les indications précises fournies par Kuppmein, que le premier rayon de sa lanterne frappa justement le coffre-fort.

Fringer s’en approcha et se mit à étudier attentivement la combinaison que, de temps à autre, il comparait au croquis tracé par Kuppmein.

Après quelques minutes de cet examen, il se mit en frais de tourner le bouton de la serrure chiffrée. Sa main tremblait légèrement, et de son front creusé de plis durs coulaient des gouttes de sueur. De ses lèvres tombaient parfois des paroles hachées et inintelligibles, parfois aussi c’était un juron. Durant pas moins de quinze minutes il travailla activement, mais la porte du coffre-fort demeurait opiniâtrement close.

— Diable ! souffla-t-il enfin en épongeant sa face mouillée, est-ce que ce bélître de Kuppmein se serait trompé par malheur ?… Ou bien, est-ce moi qui vois noir ?

De nouveau il compara son papier à la combinaison.

— C’est, pourtant bien le même chiffrage, murmura-t-il. Peut-être ai-je fais un demi-tour de plus ou de moins ?… Alors, il faut recommencer. Voyons… D’abord, deux tours entiers à droite… Ça y est ! Maintenant… un tour complet à gauche… Bon ! Voilà ! Enfin… revenir à gauche jusqu’à douze…

Cette fois Fringer sursauta joyeusement en entendant un léger déclic vibrer à l’intérieur du coffre-fort. Fébrilement il tourna la poignée et tira à lui la lourde porte.

Il poussa un immense soupir.

Il ne vit d’abord que des livres de comptes et des paperasses. Puis il examina le contenu du coffre-fort avec une grande attention, murmurant :

— Kuppmein a dit… « une grande enveloppe jaune marquée : PLAN… C-T. » et déposée dans le cinquième des six casiers. Voyons… je vois bien le cinquième casier, mais il est vide ! Il n’y a pas d’enveloppe jaune dedans !…

Perplexe, il se gratta activement le front.

— Enfer !… jura-t-il avec colère et désappointement. Si c’était…

Il s’interrompit, haletant et n’osant formuler entièrement sa pensée. Mais tout à coup ses sourcils se froncèrent terriblement et ses lèvres grondèrent une nouvelle imprécation.

— Nous sommes volés… rugit-il, volés par cet homme à la valise !

Mais une autre pensée parut le bouleverser bien davantage.

— La valise !… Le modèle !… s’écria-t-il… Oh ! il n’y a pas de temps à perdre, si je veux sauver l’autre pièce…

D’une main brutale il repoussa la porte du coffre-fort et se dressa d’un bond. Mais dans ce geste, chose étrange, sa grosse moustache noire aux pointes tournées en queue de cochonnet se détacha de sous son nez et tomba sur le parquet.

Fringer grommela une nouvelle imprécation, ramassa sa moustache postiche, la replaqua sous son nez, éteignit sa lanterne et sortit du cabinet de Conrad.

Trois minutes plus tard, il était sur la rue et jetait un regard inquiet au cadran de l’hôtel des Postes, dix heures moins quart !

— Rue Saint-Denis, murmura Fringer en allongeant le pas… pourvu que j’arrive à temps !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous laisserons Fringer à son désappointement et à sa rage pour rejoindre l’homme à la valise.

Il était exactement neuf heures et quart quand il sortit de l’édifice, il traversa la chaussée, par crainte de se trouver nez à nez avec Pierre Lebon dont il aperçut plus loin la silhouette, remonta la rue Saint-Jacques jusqu’à la côte de la Place d’Armes d’où il descendit sur la rue Craig pour gagner le Boulevard Saint-Laurent. Il sauta dans un tramway montant le Boulevard, prit un autre tramway rue Sainte-Catherine en direction de l’est et descendit rue Saint-Denis. Quelques instants après il était au No