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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

sans le concours d’un complice ou d’un associé quelconque qui pourrait le trahir, et ceci complète sa force. Bref, sans connaître cet homme davantage, je crois qu’il a dû mettre en lieu sûr les plans et le modèle de Lebon, et nous fouillerions vainement toute la cité pour les retrouver.

— Admettons. Mais il sera toujours temps de transiger plus tard.

— C’est possible. Mais observe que nous aurons perdu un temps précieux. Ensuite Parsons — il me l’a bien fait comprendre — ne reviendra pas sur le prix que j’ai convenu avec lui. Qui nous dit qu’il n’exigera pas davantage pour avoir attendu ? Qui sait encore, comme il me l’a laissé entendre, s’il n’aura pas négocié avec d’autres, et pour une somme supérieure aux vingt mille dollars qu’il m’a demandés ?

— Je n’admets pas tes hypothèses, grogna Grossman.

— Pourquoi pas ?

— Pour la bonne raison que ton Parsons, ayant surpris nos secrets, a tout intérêt à nous faire chanter, et il le sait. Mais, moi je sais que les plans et le modèle du Chasse-Torpille lui brûlent les mains, dans la crainte où il doit être qu’un hasard n’attire la police de son côté. Et puis, l’affaire est trop délicate, trop dangereuse pour qu’il ait l’idée d’entrer en pourparlers avec d’autres personnes. Or, écoute bien ceci, Kuppmein : si nous n’aboutissons pas à lui reprendre par la ruse ou la force les plans et le modèle que nous nous étions réservés, nous n’aurons plus alors qu’à manifester la plus entière indifférence. Et il ne sera pas long que tu verras ton gueux de Parsons accourir, et nous céder les plans et le modèle qu’il a volés pour deux ou trois mille dollars.

— Mais en adoptant de tels procédés nous n’en finirons jamais ! s’écria Kuppmein exaspéré et en reprenant sa marche furibonde.

— Bah ! laisse faire, tu verras, te dis-je. Et puis, ce serait trop stupide, vraiment, d’aller verser une somme de vingt-mille dollars à ce croquant qui en est peut-être à la ruine-misère.

Kuppmein s’arrêta de nouveau près de la table. Son exaspération devenait rage, et cette rage semblait augmenter à mesure que s’entêtait Grossmann.

Il leva son poing fermé et l’abattit violemment sur la table qui craqua.

Qu’est-ce que cela peut bien te ficher, cria-t-il, vingt mille ou cent mille dollars ! Ce n’est pas ton argent, j’imagine ? Et puis, est-ce que cet argent n’a pas été mis à notre disposition par le Service Secret de l’Allemagne, avec ordre d’en user pour les meilleurs intérêts de notre patrie commune ? Au reste, nous recevons un traitement fixe et équitable, et nos frais de déplacements et d’imprévus nous sont largement remboursés ; alors qu’as-tu besoin de cet argent dont — ne l’oublie pas — tu n’es que le dépositaire ?

— N’est-ce pas assez que j’en sois le dépositaire ? N’en suis-je pas responsable ? N’en dois-je pas rendre compte ?

— Tu oublies que je suis autorisé à tirer ou partie de la somme ou la somme entière, si je le juge à propos, pour la transaction de nos affaires, et cela contre une reconnaissance de ma part qui, par le fait, dégage ta responsabilité.

— Il est vrai que tu as une certaine autorisation de tirer sur notre caisse ; mais tu n’es pas autorisé à gaspiller l’argent. Et voilà bien ce que je veux prévenir et empêcher.

— Misérable ! rugit Kuppmein.

Et rapide comme la pensée, il tira un revolver, le braqua sur Grossmann et fit feu.

La détonation parut ébranler les murs de la maison, et une balle atteignit Grossmann à l’abdomen.

Celui-ci échappa sa pipe et bondit hors de son fauteuil. Ses deux mains se crispèrent furieusement à son ventre, sa face brutale devint blanche, ses yeux rouges roulèrent comme noyés dans une brume de sang. Il voulut parler, crier, jurer, maudire, mais, de ses lèvres ne tomba qu’un son rauque qui mourut comme un gémissement. Puis il chancela, son corps de géant pencha vers l’arrière, et lourdement il s’affaissa sur le fauteuil. En tombant sa grosse tête heurta le dossier du fauteuil, elle rebondit en avant et s’inclina brusquement sur la poitrine pour ne pas se relever. Un long frémissement agita quelques secondes le corps entier, puis tout se raidit, l’immobilité complète se fit, et Grossmann parut frappé de mort.

Alors seulement Kuppmein, le visage livide et baigné de sueurs, l’œil sanglant et féroce, remit le revolver dans sa poche et grommela :

— Tant pis pour ce chien !

Aussitôt il s’approcha de Grossmann, renvoya brutalement la tête inerte sur le dossier du fauteuil il se mit à fouiller activement les vêtements de sa victime.

La minute suivante, il ébauchait un sourire triomphant en s’emparant d’un portefeuille bourré de billets de banque, puis faisait disparaître ce portefeuille dans une de ses poches.

Alors, il tira un mouchoir pour essuyer sa face inondée.

À cette même minute, la porte s’ouvrit subitement.

Kuppmein exécuta un bond de terreur.

Sur le seuil de la porte un homme venait de s’arrêter, et cet homme, c’était celui-là même qui, la veille, s’était à l’improviste dressé sur le passage de Kuppmein pour lui offrir les plans et le modèle du Chasse-Torpille… oui, c’était Peter Parsons.

Le premier regard de l’homme tomba sur la forme prostrée et inerte de Grossmann. Un sourire moqueur retroussa les poils noirs de sa barbe, puis il riva ses regards jaunes sur Kuppmein.

Celui-ci se remettait de sa stupéfaction et de son effroi, et il parvint à dire d’une voix mal assurée et en essayant de sourire :

— Entrez donc, monsieur Parsons !

Parsons obéit. Il s’approcha de la table en passant près de Grossmann inanimé sans prêter plus d’attention à celui-ci.

Puis, avec cet accent narquois que Kuppmein se rappelait bien, Parsons dit :

— Ah ! ah ! cher Monsieur Kuppmein, on a donc décidé de faire coûte que coûte respecter ses petites volontés. Oh ! ne croyez pas que je veuille jeter sur vous quelque blâme, du tout. Seulement, en supposant que, au lieu de votre