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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

humble serviteur, un agent de police fût arrivé jusqu’à cette porte, avouez que votre position aurait été très désavantageusement modifiée.

— Il n’y a pas eu de ma faute, fit Kuppmein avec un accent farouche, c’est cet imbécile qui l’a voulu.

— Comment donc, c’est ce que je me suis dit en entrant. Tout de même…

— C’est bon, interrompit sèchement Kuppmein qui ne se sentait nulle envie de badiner. Avez-vous les plans ?

— Je les ai.

— Exhibez !

— Pas avant que vous n’ayez exhibé vous-même, rétorque Parsons froidement.

— Soit, voici !

Et l’allemand sortit le portefeuille qu’il venait d’enlever à Grossman et du portefeuille tira une liasse de billets de banque.

De son côté Parson tira d’une poche intérieure de son habit l’enveloppe jaune en laquelle James Conrad avait, comme on se le rappelle, renfermé les plans du Chasse-Torpille.

D’un simple coup d’œil Kuppmein put s’assurer que c’était exactement l’enveloppe qu’il avait vue chez Conrad. Il y put voir très bien le mot « PLANS » immédiatement suivi des deux lettres majuscules C.-T.

— Donc, reprit Kuppmein, ce sont toujours les mêmes conditions, c’est-à-dire dix mille dollars contre remise des plans, et dix mille autres à New York où vous nous apporterez le modèle ?

— Je ne reviens jamais sur la parole donnée, déclara Parsons gravement.

Kuppmein compta aussitôt vingt billets de cinq cents dollars chacun et les tendit à Parsons qui, en retour, laissa tomber sur la table l’enveloppe jaune. D’un geste rapide, Kuppmein saisit l’enveloppe et, ainsi que le portefeuille, la glissa dans une poche intérieure de son veston.

— Et à présent, dit-il, le mieux que nous ayons à faire c’est de déguerpir. J’ai d’ailleurs un rendez-vous et je ne puis m’attarder plus longtemps. Descendons !

— Un instant, que diable ! fit Parsons. Laissez-moi le temps de vérifier.

— Comme vous voudrez… moi je file !

Et Kuppmein sortit de la pièce brusquement, tandis que Parsons fort tranquillement comptait en les palpant amoureusement les vingt beaux billets de banque.

Kuppmein, piqué par une peur atroce que son coup de feu n’eût été entendu du dehors et qu’un troupe de policemen n’accourût, descendit en rafale l’escalier que conduisait au vestibule. Cet escalier et ce vestibule se trouvaient plongés dans l’obscurité ; mais Kuppmein connaissait les aîtres, et il arriva sans encombre à la porte du perron. Mais il se heurta sur le perron et une ombre humaine qui semblait s’apprêter à entrer dans la maison. Saisi d’épouvante, l’allemand culbuta l’ombre, sauta en bas du perron et courut à la grille qu’il franchit d’un bond. Mais dans ce bond il se heurta violemment encore à une autre ombre humaine qu’il ne voulut pas prendre le temps de reconnaître. Il disparut dans la nuit en courant.

Mais cette deuxième ombre humaine avait, elle, reconnu Kuppmein, et cette ombre, qui n’était autre que Fringer, murmura avec une imprécation.

— Enfer, j’arrive encore trop tard ! Mais qui donc est mort là-haut ? se demanda-t-il.

Et, avide de savoir, il poussait la grille et pénétrait dans la cour, bousculé par un autre individu. Un individu ? Il n’eut pas le temps cette fois de voir de suite, car le pseudo-individu s’élançait comme un coup de vent dans la direction qu’avait prise Kuppmein. Mais Fringer retrouva de suite son équilibre, frotta ses yeux, regarda la silhouette sombre qui s’éloignait en courant et prononça avec la plus grande stupeur :

— Bon ! il ne manquait plus que ça, c’est une femme !

Oui, c’était bien une femme qui fuyait ainsi, et seul, peut-être Kuppmein aurait pu la reconnaître… Cette femme, c’était Miss Jane !

Et Fringer, revenu de son étourdissement, se demanda agité qu’il était par un pressentiment de mauvais augure :

— Mais que diable se passe-t-il à nos quartiers généraux ? Allons ! c’est ce que je veux savoir à l’instant !

Il prit, de suite sa course vers le perron de la maison, grimpa d’un bond les cinq marches de pierre et se rua vers la porte vitrée ouvrant sur le vestibule. Mais là il s’arrêta net pour demeurer très immobile, ses yeux désorbités, fixés sur le vitrage de la porte, et toute sa physionomie comme pétrifiée par l’horreur ou l’épouvante.

Pour expliquer l’étrange attitude de Fringer, il importe de revenir à Parsons que nous avons laissé dans cette chambre où Grossmann avait été tué par Kuppmein.

Parsons avait scrupuleusement additionné les vingt billets de banque de cinq cents dollars chacun, puis satisfait, il avait empoché l’argent. Cela fait, il se mit à considérer le corps inanimé de Grossmann. Au bout d’un moment, il murmura :

— Qui sait s’il n’y aurait pas un autre vingt mille à gagner avec cette affaire ?

Cette pensée parut le faire réfléchir encore. Puis, après un autre moment, il hocha brusquement la tête d’une façon qui pouvait signifier :

— Bah ! la chose n’en vaut peut-être pas la peine !…

Et, sans plus, il éteignit la torchère et pressa le bouton d’une petite lanterne électrique qu’il avait eu la précaution d’apporter. À l’aide de cette lanterne, qui ne projetait qu’un mince rayon, il guida sa marche jusqu’au vestibule. Mais au moment où il quittait la dernière marche, une frêle silhouette humaine se dressa soudain devant lui.

Parsons frissonna de peur et instinctivement éleva la lumière de sa lanterne. Celle-ci éclaira la silhouette d’une femme… une femme vêtue et voilée de noir.

Cette femme, en voyant cet homme dont elle ne pouvait pas, certainement, distinguer avec netteté la physionomie, fit un pas de recul en étouffant un cri de surprise ou de peur. Mais elle se raidit aussitôt, et, levant un doigt menaçant qu’elle pointa sur Parsons, elle cria d’une voix vibrante :