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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Je déduis que la forme qui se dessine confusément à notre vue ne peut être qu’une femme, dont les jupes se gonflent sous la pression de l’eau.

— Bravo ! Maître Alpaca. Décidément, vous êtes un homme supérieur.

— Merci, mon ami, sourit Alpaca. Et, reprit-il, puisque c’est une femme, et puisque nous sommes des admirateurs du beau et faible sexe, un bon coup de bras et un bon coup de jambe !

Les deux intrépides nageurs découvrirent bientôt, en effet, le corps d’une femme flottant à la surface de l’eau. Ils la saisirent aussitôt, d’un bras chacun, et nageant vigoureusement de l’autre ils se dirigèrent vers la rive avec cette épave humaine.

Une demi-heure s’était écoulée depuis que les deux hommes s’étaient jetés à l’eau, et à présent ils considéraient la forme inanimée et trempée d’une jeune fille qui reposait, morte peut-être, sur un lit d’herbes.

— Qu’allons-nous faire ? interrogea avec inquiétude Tonnerre.

— Une chose, répondit Alpaca, c’est que cette jeune dame vit encore, et une autre chose, ce serait de la transporter dans une habitation où elle pourra recevoir tous les soins nécessaires.

— Oui, mais les habitations sont loin, Maître Alpaca.

— Voici ce que nous allons faire : je vais essayer de ramener cette jeune personne à la vie, et vous, pendant ce temps, vous irez chercher une auto. Savez-vous chauffer ?

— C’est mon métier, cher Maître ! répondit sans sourciller Tonnerre.

— C’est bien, allez donc.

— Mais mon veston et votre redingote ?…

— Tiens ! Je les avais oubliés. Eh bien allez les chercher sur le pont puis courez vers la ville et tâchez de vous procurer une auto aux premières habitations que vous découvrirez.

— Seulement, Maître Alpaca, je doute que nous puissions arriver jusqu’ici avec une auto.

— C’est vrai. Mais je ne serais pas étonné de trouver près du pont une route. Prenez donc les devants, allez chercher nos vêtements, et pendant ce temps je chercherai la route.

Tonnerre, malgré l’obscurité des lieux, partit vivement dans la direction du pont.

Alpaca souleva alors la jeune fille et, évitant autant que possible de la secouer, prit aussi la direction du pont.

Après une demi-heure d’une marche très lente et difficile, il atteignit une route noire et déserte et qui semblait se diriger vers la ville, Alpaca, sans le savoir et à cause d’obstacles qu’il voulut éviter, avait dévié de son chemin. À présent il pouvait vaguement apercevoir la masse sombre du pont, et ce pont lui semblait plus loin que l’instant d’avant.

Le silence régnait partout et nulle habitation n’était en vue.

Alpaca déposa son fardeau sur le bord de la route, pour reprendre haleine. À ce moment un gémissement s’échappa des lèvres de la jeune fille. Alpaca s’agenouilla et la regarda attentivement. Elle avait ouvert les yeux et regardait avec surprise cet inconnu à barbe noire qui se penchait sur elle.

— Madame… mademoiselle… bredouilla Alpaca gêné par ce regard.

— Qui êtes-vous ? interrogea la jeune fille d’une voix presque indistincte.

— Un ami, madame, soyez-en sûre !

La voix douce d’Alpaca parut la rassurer. Puis elle se mit à parler difficilement, les paupières closes, comme si elle eût voulu faire une confidence qui lui coûtait.

— Je me souviens… J’ai voulu surprendre la conduite mystérieuse de cet homme, car je me doutais bien que c’est lui qui avait volé le modèle et les plans… Mais était-ce bien lui avec cette barbe noire ?

Alpaca tressaillit… Cet homme à barbe noire, était-ce de lui que cette jeune inconnue parlait ?

— J’ai cru que c’était lui… continua l’inconnue… Je l’ai suivi… Puis j’ai voulu le surprendre, mais il m’a frappée… Je suis tombée… J’étais inerte, mais mon esprit demeurait éveillé, de sorte que j’entendis parfois ce qui se passait autour de moi, ensuite je me sentis emportée dans une voiture… C’était une auto, je crois, et le roulement et le bruit de la machine parurent m’endormir. Mais un peu plus tard je sentis encore qu’on me saisissait… puis… horreur !… je sentis que je tombais dans un grand vide… un vide infini !

La jeune fille fit un soubresaut violent, se dressa à demi, jeta sur la physionomie d’Alpaca un regard d’épouvante, puis cria faiblement :

— C’est lui… c’est lui… l’homme barbu de noir !

Et elle s’affaissa lourdement sur le sol et demeura de nouveau inanimée.

Alpaca, abasourdi et effrayé à la fois, se dressa debout et eut l’envie de s’enfuir ! Quoi ! est-ce que cette jeune inconnue ne venait pas de l’accuser de cet attentat ?… Un homme barbu de noir !… Mais il comprit vite qu’il s’agissait de quelque bizarre ressemblance, et décida d’attendre patiemment le retour de son compagnon. Une heure s’était écoulée déjà et Tonnerre ne revenait pas. Alpaca, seul avec cette femme inanimée et toute trempée, s’inquiétait. Si cette femme allait mourir avant qu’on lui donnât les soins qui pourraient la sauver !… Une autre demi-heure passa, sans que la pauvre victime fût de nouveau revenue à la vie.

Enfin, le cœur d’Alpaca bondit de joie intense en voyant la route s’éclairer tout à coup dans le lointain. Oui, il n’y avait pas de doute que cette clarté provenait des phares d’une auto. Il souhaita que ce fût Tonnerre qui revenait. Son souhait fut réalisé : cinq minutes plus tard, une auto s’arrêtait et Tonnerre sautait sur la route, criant :

— À la bonne heure, Maître Alpaca, je vous trouve Ici !

— Eh bien ! cher ami, puisque c’est vous, ne perdons pas de temps.

— En ce cas, cher Maître, montez dans le tonneau et je vous y donnerai la jeune femme.

Alpaca obéit et l’instant d’après Tonnerre déposait près de lui l’inconnue.

Elle, à cet instant, remua légèrement, puis elle ouvrit les yeux et regarda autour d’elle avec étonnement. Elle vit la figure grave et chagrine d’Alpaca, le visage jovial de Tonnerre, et un ins-