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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

tinct lui fit comprendre qu’elle était maintenant entre les mains d’amis dévoués. Elle murmura dans un souffle :

— Merci !

— Où désirez-vous qu’on vous conduise, Madame ? interrogea Alpaca.

— Rue Saint-Denis… répondit la jeune fille d’une voix presque indistincte.

— Vous entendez, Maître Tonnerre, fit gravement la voix d’Alpaca, rue Saint-Denis, et vite !

— Le numéro, chère Madame ? demanda Tonnerre à son tour.

— Cent quarante-trois B ! balbutia la jeune fille après un moment d’hésitation.

— Cent quarante-trois B ! Maître Tonnerre, répéta Alpaca d’une voix rude.

— Compris.

Et Tonnerre sauta à l’avant de la machine.

— Surtout, reprit Alpaca, n’oubliez pas de montrer votre savoir-faire !

— Vous allez être satisfait, cher Maître.

Et avec la dextérité d’un maître-chauffeur, Tonnerre mit la voiture en mouvement, vira de bord, et, la seconde suivante, la machine se dardait en avant dans une course vertigineuse.


XI

L’ACCUSATEUR


Trois heures étaient sonnées lorsque, cette même nuit, le colonel Conrad rentra à son domicile de la rue Metcalf. Le silence qui régnait dans la petite maison n’était troublé que par une lourde respiration qui frisait le ronflement d’un dormeur, et ce ronflement partait d’une pièce voisine du fumoir du colonel.

Un vague sourire erra un moment sur les lèvres de ce dernier.

Il jeta son chapeau et son pardessus sur une chaise et alla à un petit buffet duquel il tira une carafe remplie de liqueur. Il alla déposer cette carafe sur la table, s’assit dans le fauteuil voisin et se versa à boire.

Il alluma un cigare et se mit à fumer tout en méditant.

De temps à autre il vidait un verre de whiskey, de sorte qu’au bout d’une demi-heure il se trouva à demi ivre. À ses lèvres demeurait un sourire content. Plus il bailla fortement et murmura :

— Allons ! J’ai bien travaillé cette nuit, il ne me reste plus qu’à bien dormir !

Il jeta ce qui restait de son cigare, vida un autre verre, et enleva ses bottines qu’il jeta loin de lui avec force, au risque de réveiller les braves gens qui dormaient au-dessous.

Il entra dans sa chambre.

Avant de se dévêtir tout à fait, il s’assit sur le bord de son lit, tira de la poche intérieure de sa veste un portefeuille, l’ouvrit et se mit à compter une forte liasse de gros billets de banque. Il ricana sourdement et replaça le portefeuille dans la poche de sa veste. Mais alors son regard se porta sur la porte close de sa garde-robe. Une idée traversa son cerveau. Il se leva et alla à la garde-robe dont il tira doucement la porte. D’un regard perçant il fouilla la garde-robe. Puis il tressaillit violemment, son visage fortement coloré par l’eau-de-vie devint livide, tout son sang parut se changer en lait, et il murmura avec le plus grand étonnement :

— Elle n’est plus là !…

Il quitta la garde-robe et, le front en sueurs, les sourcils contactés, la lividité de sa figure s’accentuant, il inspecta minutieusement la chambre. Il visita l’armoire, regarda sous le lit… Non, il ne trouvait pas l’objet qu’il cherchait.

Il retourna à son fumoir dont il scruta tous les coins en grondant de vigoureux « goddam » et de retentissants « blooming »… Rien là non plus !

Il s’arrêta, haletant et découragé, et se demanda :

— Qui peut bien avoir enlevé cette valise ?

Il se frappa le front, ses regards s’embrasèrent, une flamme ardente empourpra sa figure d’ivrogne, et nerveusement il gagna la pièce d’où partait la lourde respiration d’un dormeur heureux.

Il poussa la porte, pénétra dans une chambre obscure et pressa un bouton : une vive lumière jaillit du plafond.

Dans cette chambre un désordre extravagant.

Sur une couchette de fer munie d’un mince matelas le colonel vit son ordonnance allongée sur le ventre, bottes aux pieds et kaki au dos, dormant d’un sommeil formidable.

Sur le plancher, près du lit, gisait un flacon vide.

Un éclair de fureur coupa les prunelles sombres du colonel. Puis l’éclair de son regard parcourut rapidement les quatre coins de la chambre. Non… il ne voyait pas dans cette chambre la valise qu’il cherchait.

Il se rapprocha du lit et de sa main droite frappa durement l’ordonnance dans le dos. Un grognement rauque fut l’unique réponse à cette interpellation brutale.

La même main s’éleva de nouveau pour retomber plus lourdement.

Le même grognement se fit entendre. Mais cette fois l’ordonnance se tourna sur le dos, mais n’en continua pas moins son heureux sommeil.

Devant cette opiniâtreté le colonel perdit toute mesure. Il lâcha un gros juron, leva son poing fermé et dur et l’enfonça avec rage dans le ventre du terrible dormeur.

Un hurlement de douleur ébranla la maison entière, et Tom, d’un bond terrible, se dressa debout pour demeurer nez à nez avec son officier devenu hideux de colère.

— Chien d’ivrogne ! vociféra le colonel en posant son poing sous le nez blême et ahuri de l’ordonnance qui, ployée en deux, tenait de ses deux mains son abdomen endolori et quasi crevé, vas-tu répondre à l’appel, à la fin ?

— À l’appel !… bredouilla d’une voix enrouée Tom qui verdissait de douleur et d’épouvante à la fois. Me voilà, monsieur ! Il n’était pas nécessaire de m’assommer…

— C’est bon, pas de commentaires ! Arrivons au fait !

— Que se passe-t-il donc ? Le feu est-il à la maison ?

— Non ! cria l’officier d’une voix sifflante. Il n’y a pas de feu dans la maison, mais il y a des voleurs !