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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

sombre et agité, mordant un cigare éteint et clignotant terriblement des yeux.

— Eh bien ! mon oncle, quoi de neuf, ce matin ?

— Rien !… répondit Conrad sur un ton découragé. Tout va mal, décidément. Nos plans du Chasse-Torpille n’ont pas été retrouvés, non plus le modèle de Lebon. Et pour comble, ma secrétaire a disparu.

— Elle a disparu !… fit le colonel avec étonnement.

— Comme elle ne venait pas, j’ai téléphoné chez elle. Là, elle n’a pas été vue depuis hier. J’ai également téléphoné à quelques-unes de ses amies, mais personne ne l’a vue.

— Ah ! ah ! fit le colonel avec un sourire ambigu, il me semble que c’est du neuf, cela. C’est même de l’étrange, cette absence de Mademoiselle Henriette.

— Que veux-tu dire ? demanda Conrad surpris de ces paroles.

— Voulez-vous me permettre une autre question ?

— Parle.

— Vous êtes-vous informé de Lebon ?

— J’ai envoyé un garçon pour le prier de passer à nos bureaux.

— Qu’a rapporté le garçon ?

— Que Lebon est absent, lui aussi.

— Une autre question, mon oncle.

— Voyons.

— Vous avez payé, n’est-ce pas, vingt-cinq mille dollars à Lebon ?

— Oui.

— Vous n’ignorez pas que Lebon et Henriette étaient depuis longtemps désireux de gagner la forte somme, de la gagner par tous les moyens, afin de s’épouser et de vivre ensuite largement ?

— Où veux-tu en venir ?

— À ceci : Henriette, hier soir, vous a volé les plans du Chasse-Torpille.

— Es-tu fou, Philip ?

— Puis elle et Lebon sont passé à l’étranger avec votre argent, les plans et le modèle.

— C’est impossible !

— Ne me croyez pas, c’est votre affaire. Mais avouez qu’il n’est pas nécessaire de posséder un gros lot de psychologie pour découvrir la petite affaire de ces deux amoureux. Récapitulez les circonstances, vous verrez bien.

— Certes, en y songeant, fit Conrad d’un air sombre et soucieux, il se trouve bien des apparences contre eux. Mais…

— Mon oncle, je vous dis que Lebon et Henriette vous ont volé. À présent, voici un conseil : mettez à leurs trousses quelques bons policiers, et je vous garantis qu’avant vingt-quatre heures vous les repincerez. Car, si je ne me trompe, ils n’ont pu encore que passer la frontière américaine.

— J’ai bonne envie de suivre ton avis, murmura Conrad encore indécis. Car, disons-le, il lui paraissait folie de penser qu’Henriette fût une voleuse.

— Je vous l’ai dit, hier, mon oncle : Lebon était homme à prendre la fuite avec l’argent et son modèle avec le dessein de le vendre à d’autres pour une somme double, peut-être, de celle que vous lui avez offerte. Et savez-vous encore ce que je pense encore ? Il n’y aurait rien d’étonnant que Lebon ne songeât à livrer son Chasse-Torpille à l’Allemagne.

— Oh ! fit Conrad avec une certaine horreur.

— Mais il lui manquait l’argent nécessaire pour entreprendre le voyage et pour mener rondement et largement les négociations, il a pensé à vous jouer le tour !

— Oh ! si cela était ainsi, s’écria Conrad, avec fureur, il n’ira pas loin.

— Non, il n’ira pas loin, si vous agissez de suite !

— Je vais agir. Philip, répliqua l’ingénieur avec un accent résolu, je vais agir de suite, car je me rends immédiatement chez une agence de policiers.

Le colonel esquissa un sourire diabolique et pensa :

— Ou je me trompe fort, ou la partie est à peu près gagnée !…


XII

OÙ LA VALISE MYSTÉRIEUSE DU COLONEL CONRAD CHANGE DE MAINS


Revenons à l’ordonnance du colonel.

Après le départ de l’officier, Tom s’était mis à la recherche de l’objet volé, objet que le premier n’avait pas cru devoir spécifier devant son ordonnance.

Mais Tom, évidemment, était renseigné sur ce point important, puisqu’il pénétra dans le fumoir du colonel avec son sourire narquois, tout en disant à voix basse :

— Quel tapage, mon cher colonel, vous avez fait pour un rien ! Oui, pour rien ! Car vous n’avez pas été volé du tout, attendu que votre précieuse valise est toujours locataire de votre chambre à coucher… venez voir !

Et Tom, après avoir convenablement égoutté la carafe demeuré sur la table, pénétra dans la chambre à coucher de son officier. Il s’arrêta devant l’armoire, leva son index en même temps que son œil sournois, et dit en grimaçant un sourire :

— Vous voyez bien, mon colonel, que vous n’avez pas été volé et que votre belle valise toute neuve est toujours là !

En effet, la valise que Tom, la veille, avait découvert dans le garde-robe était bien visiblement juchée sur l’armoire. Mais le colonel, tout à sa colère, à son angoisse, à ses vengeances futures, n’avait rien vu. Il avait regardé partout en bas, mais il n’avait pas regardé en l’air. Oui, comme l’avait dit Tom, la valise s’était trouvée sous son nez et il ne l’avait pas vue.

Toujours grimaçant, Tom ajouta :

— À présent, jolie valise, je dois vous prévenir que je vais m’absenter pour une heure ou deux. Je compte que vous serez bien sage et ne bougerez pas de là. À mon retour, je vous dirai ce qu’on attend de vous. Fort probablement aurai-je le plaisir de vous présenter à mon excellent ami, Monsieur Grossmann.

Il exécuta une pirouette, ébaucha deux pas de danse, et gagna par sauts, bonds et ricochets sa chambre à coucher.

Dix minutes après de la même chambre sortait un individu dont l’apparition n’aurait pas manqué d’impressionner très fort le colonel.