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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Des voleurs !… s’écria Tom égaré. Oh ! mais alors…

Et il voulut s’élancer vers une malle placée dans un coin de la chambre.

Le colonel le saisit.

— Que veux-tu faire ? demanda-t-il.

— Prendre mon revolver… puisqu’il a des voleurs dans notre domicile.

Il essaya encore de se ruer vers sa malle.

Mais le colonel le retint solidement et le secouant vigoureusement, hurla :

— Mais vas-tu m’écouter, pourceau maudit !

— Eh bien ! que voulez-vous ? hoqueta l’ordonnance à demi étranglée par la terrible poigne du colonel.

— Je veux que tu répondes à mes questions, pochard de satan.

— Vous voyez bien qu’à m’étrangler de la sorte ma langue bientôt ne pourra plus remuer, gémit le malheureux Tom.

— C’est bien, je te lâche, puisque tu deviens docile.

Tom respira longuement, toussa, s’ébroua… Puis, tâtant son col douloureux, il demanda avec un sourire moqueur :

— Vous étiez donc fâché, mon colonel ?

— Pas de questions ! interrompit rudement l’officier. Réponds sans ambages. Et il interrogea aussitôt :

— À quelle heure es-tu rentré ?

— Mais… de bonne heure, hésita Tom.

— Oui, de bonne heure ce matin ! ricana l’officier. Car, sache-le, il est quatre heures.

— Quatre heures déjà ! fit l’ordonnance avec une mine tout ébaubie.

— Eh bien ! qu’est-ce à dire ?

— Je dis… que je suis étonné d’avoir dormi si longtemps dans ma tenue tout entière… hormis la casquette…

— Et hormis le fusil… se mit à rire le colonel avec mépris. Ainsi, tu vas me dire que tu es rentré hier ?

— Et de bonne heure. Je vous le répète.

— Ne mens pas, car…

Et l’officier esquissa un geste redoutable.

— Mentir… s’écria l’ordonnance avec indignation. Pas le moindrement, à preuve qu’il était entre huit et neuf heures, et, à preuve aussi que, en revenant au logis, je vous ai vu, rue Sainte-Catherine, monter en tramway direction est.

— Tu es certain ?

— Par exemple… À moins que j’aie rêvé ?

— Ou que tu ne fusses soûl ?

— Pardon, monsieur ! je ne me suis abreuvé que de retour ici.

— En quelle compagnie, alors ?

— En compagnie de ce pauvre flacon.

— Je l’ai apporté moi-même.

— Et tu n’as reçu aucune visite en mon absence ?

— Ni chat, ni chatte.

— Pourtant, quelqu’un a pénétré en mon appartement durant mon absence.

— Ce ne pourrait être que l’esprit malin.

— À quelle heure t’es-tu mis au lit ?

— Je ne pourrais pas préciser. Mais je peux affirmer qu’il était entre onze heures et minuit.

— D’où vient ce flacon ?

Le colonel garda le silence, sans toutefois quitter de l’œil l’ordonnance qui, tripotant son ventre et son cou tour à tour, esquissait force grimaces de douleur. Mais la physionomie de l’ordonnance paraissait si sincère, que le colonel abandonna les soupçons qu’il avait eus à son égard.

— C’est bien, dit-il dans un grondement farouche, tu peux te recoucher. Mais, je saurai bien demain qui s’est introduit chez moi.

Il s’interrompit subitement comme un nom venait de flamboyer à son esprit :

— Kuppmein !… murmura-t-il.

Il frémit et ses yeux lancèrent un jet de flammes terribles.

— Oh ! si c’était lui… ajouta-t-il entre ses dents serrées.

Son poing s’éleva et s’abaissa en fendant l’air avec un sifflement, et rasant d’un demi-pouce le nez mince et livide de l’ordonnance qui exécuta un bond énorme en arrière.

Le colonel partit de rire et dit :

— N’aie pas peur, Tom, je ne t’en veux nullement.

Ces paroles parurent rendre à Tom toute son assurance, et il hasarda cette question :

— Mais serait-ce possible qu’on vous eût volé quelque chose ?

— Pas de questions, te dis-je ! Du reste, dès l’heure du réveil j’irai interroger le propriétaire de cette maison. Allons ! recouche-toi, Tom, et continue de rêver. Surtout, n’oublie pas en tes rêves la jolie Miss Jane.

Sur cette plaisanterie le colonel rentra chez lui en repoussant durement la porte.

Alors un sourire narquois s’épanouit sur les lèvres de Tom, et ce sourire s’acheva en un sourd ricanement que suivirent ces mots :

— C’est donc vrai qu’on n’a qu’à mettre les choses sous le nez d’un bonhomme pour qu’il ne les voie pas !…

Et après ces paroles mystérieuses, dont on comprendra bientôt le sens, Tom éteignit sa lumière et retomba sur son lit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vers les neufs heures du matin, furieusement obsédé par la disparition mystérieuse de sa valise, le colonel descendit pour interroger les gens du rez-de-chaussée. Mais les vieux lui jurèrent que personne, à leur connaissance, n’était entré dans son appartement la veille, hormis, naturellement, son ordonnance, Tom.

Seulement, comme les deux époux s’étaient nichés vers les huit heures, l’officier conclut en lui-même que le voleur de sa valise avait dû s’introduira durant le sommeil de Tom et des propriétaires. De cela il était certain, mais il n’aurait pu préciser l’heure.

Mais qui pouvait bien être ce voleur ?

De nouveau le nom de Kuppmein brûla l’esprit perplexe de l’officier.

Il remonta chez lui, fit un geste sauvage et rugit :

— Oh ! si c’est Kuppmein… enfer et ciel ! malheur à lui !

Et il se mit à s’habiller fébrilement.

À dix heures, le colonel pénétrait dans le cabinet de son oncle rue Saint-Jacques.

Il trouva James Conrad assis à son pupitre,