Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

entrèrent précieusement, mais s’arrêtèrent net à la vue de la jeune fille.

— Entrez, entrez, mes amis ! commanda Henriette de sa voix harmonieuse.

— Mademoiselle, prononça Alpaca avec une longue révérence, pardonnez-nous, à mon ami et à moi, de ne nous être pas enquis plus tôt de votre santé ; mais comme dit le proverbe… Mieux vaut tard que jamais !… nous nous empressons donc de réparer notre impolitesse.

— Messieurs, vous ne me devez aucune réparation, car je n’oublie pas que je suis votre débitrice. Daignez vous asseoir, nous allons nous entretenir sérieusement.

Pierre disposa des sièges, offrit un cigare que les deux compères acceptèrent après avoir demandé la permission à la jeune fille, puis Henriette commença :

— Mes amis, pour l’instant je désire vous exprimer combien je vous suis redevable pour votre acte de courage, mais plus tard je compte m’acquitter tout à fait de ma dette de reconnaissance. Maintenant, je vais vous demander si je peux compter sur votre discrétion entière.

— Mademoiselle, je vous jure que vous pouvez avoir confiance en nous.

— Et seriez-vous disposés à travailler pour moi et Monsieur Lebon, durant quelques jours ? Je vous assure que vos services seront raisonnablement payés.

— Commandez, mademoiselle, dit Tonnerre, et nous obéirons.

— Merci. Mais avant de vous mettre au travail, je vais vous instruire de certains détails qui ne manqueront pas de vous être utiles.

Elle leur narra le vol des plans et du modèle du Chasse-Torpille, et leur fit part d’une partie des projets qu’elle avait conçus pour retrouver ces plans et ce modèle. Elle conclut :

— Vos services consisteront à nous aider à mettre la main sur les voleurs et à reprendre ce qui nous a été volé.

— Nous ferons tout ce qu’il sera possible de faire pour le succès de votre entreprise, mademoiselle, affirma Alpaca.

— Je vous crois, mes amis, sourit la jeune fille. À présent, nous allons nous entendre avec Madame Fafard, qui nous est très dévouée, pour que cette brave femme mette à votre disposition la chambre que vous avez occupée la nuit dernière. Vous voilà donc logés. La table vous sera mise aussi trois fois par jour. À titre d’avance sur votre salaire, je vais vous remettre une somme d’argent avec laquelle vous pourrez remplacer vos habits que vous avez gâchés en me sauvant la vie. Je vous donnerai en outre une liste de marchandises dont j’aurai besoin et que vous pourrez me procurer en ville.

— Ah ! mademoiselle, s’écria Alpaca avec une véritable émotion, vous ne pouvez vous imaginer comme vous nous rendez heureux en mettant votre confiance en deux inconnus dont vous ignorez l’origine et les antécédents.

— Je n’ignore pas, mes amis, que vous êtes braves et généreux, et cela me suffit. D’ailleurs, quelle que soit votre présente situation, je me doute bien que vous avez dû appartenir à une classe élevée de la société.

— Vous avez bien deviné, mademoiselle. Hélas ! la vie parfois dirige l’homme en d’étranges situations, à travers lesquelles il est emporté comme un fétu, il devient le jouet d’une bourrasque qui se moque de lui avec une joie malicieuse. Et pour ne dire qu’un mot de moi, mademoiselle, un jour, il y a vingt ans passés, j’appartenais au Barreau de cette ville. J’étais devenu un légiste remarquable, un criminaliste réputé. La célébrité s’emparait de mon nom. Mais pour des raisons personnelles qui ne seraient nullement intéressantes pour vous, j’abandonnai le Barreau, je quittai cette ville et, pauvre, m’en allai à l’aventure. Et comme le grand rival de Charles-Quint, mademoiselle, je peux dire… « J’ai tout perdu fors l’honneur ! » Et mon ami, ici présent, Maître Tonnerre, ancien notaire à Québec, peut confirmer mes paroles. Lui aussi et pour les mêmes raisons a dû abandonner, un jour, une profession qui lui était chère. Ai-je dit la vérité. Maître Tonnerre ?

— La vérité vraie, approuva Tonnerre avec force et en lançant au plafond un nuage de fumée.

— Depuis ce jour néfaste, poursuivit Alpaca d’une voix troublée par une intense émotion, nous avons couru le monde, vivant du travail manuel, exerçant un peu tous les métiers, crevant un peu de faim, mourant un peu de soif, mais restant toujours et quand même du côté de l’honneur et de la probité. N’est-ce pas, Maître Tonnerre ?

— Hélas ! soupira Tonnerre excessivement touché à la fin par les accents émus de son compagnon. tout cela n’est que trop vrai !

— Et chose curieuse, mademoiselle, reprit Alpaca, après avoir brillé au Barreau comme étoile, je brillai également comme étoile durant quelques mois au Cirque « Ringling ». Je devins le premier artiste de la troupe. On ne m’appelait plus que le « Grand Alpaca », le merveilleux acrobate. Mon nom suffisait à soulever des trépidations dans l’assistance électrisée. Maître Tonnerre était mon plagiaire, mais il réussissait assez mal ses plagiats : car à chaque tour de trapèze ou de balançoire il allait mordre le sol en se démanchant un peu quelque chose. Et alors seulement, ses mimiques expressives et les grimaces de sa figure de singe faisaient un tant soit peu rire la foule.

Henriette et Pierre éclatèrent de rire, tandis que Tonnerre se dressait debout, le regard enflammé d’indignation, et disait d’une voix très aiguë :

— Moi… une figure de singe. Maître Alpaca ?… Répétez donc, voir, si vous l’osez !

— Pardon, Maître Tonnerre, riposta froidement et poliment Alpaca, vous m’avez mal saisi. Je veux dire que vous étiez passé maître dans l’imitation des gestes et expressions de figure de singe auquel, vous ne l’ignorez pas, on ne peut trouver d’égal. Mais, pour parler plus justement, je dirai que vous étiez mon bouffon…

— Votre bouffon ! éclata Tonnerre plus courroucé encore par cette épithète. Vous voulez donc m’avilir à tout prix, Maître Alpaca ? Mettez donc les choses à leur place. Voici, mademoiselle, ce qui en était à la vérité. Tout comme Maître Alpaca, j’étais un artiste consommé, et s’il était l’étoile, j’en étais bien le rayon. Car