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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

les applaudissements de la foule n’éclataient que juste au moment où je venais d’exécuter et mieux que lui, le terrible et prodigieux « Saut de la Mort ».

— Et « le Saut de l’Échalas », s’il vous plait, Maître Tonnerre ?… s’écria Alpaca en se levant et se haussant avec une hautaine supériorité.

— Le « Saut de l’Échalas » ! bredouilla Tonnerre en rougissant.

— Oui, le saut que vous avez essayé une fois seulement, avec le résultat, d’une côte coincée et d’une patte déboîtée ! Oui, Maître Tonnerre, le Saut de l’Échalas qui m’a valu la célébrité universelle ! Vous n’avez jamais plus tenté de l’exécuter, bien sûr que vous étiez de vous tordre le cou cette fois.

— C’est vrai, Maître Alpaca, avoua timidement Tonnerre.

— Mais c’est assez de nos exploits, poursuivit Alpaca en se rasseyant ainsi que Tonnerre. Et maintenant, mademoiselle, et vous, monsieur, vous n’avez qu’à nous mettre à l’épreuve.

— C’est bien, dit Henriette qui avait peine à retrouver son sérieux, nous allons nous mettre à l’œuvre. Voici d’abord la liste des différents objets dont j’ai besoin, avec les indications nécessaires pour vous faciliter leur achat. Monsieur Lebon va vous remettre l’argent qu’il faut pour faire ces emplettes.

Le jeune inventeur exhiba un portefeuille volumineux et en tira une liasse de billets de banque dont il fit deux parts égaies, et qu’il remit ensuite à chacun des deux amis qui ouvraient des yeux démesurés.

— Tâchez, recommanda Henriette au moment où Alpaca et Tonnerre allaient prendre congé, que tout soit terminé pour ce soir.

— Comptez sur nous, firent d’une seule voix les deux amis.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il passait quatre heures de l’après-midi lorsque Pierre Lebon, qui était sorti, rentra à son appartement où Henriette était demeurée seule.

Le jeune homme entra dans son cabinet brusquement, la démarche saccadée, le teint livide.

Du premier coup d’œil la jeune fille saisit le trouble de son fiancé. Elle s’écria avec inquiétude :

— Que se passe-t-il donc, Pierre ?

Pour toute réponse, le jeune homme tira de sa poche un journal anglais, le déplia d’une main fébrile, et dit d’une voix sourde et méconnaissable :

— Lisez !

Henriette saisit le journal et se mit à parcourir rapidement l’article indiqué par le jeune homme.

Et à son tour elle pâlit, ses mains furent violemment agitées, son sein battit en tumulte. Elle leva ses yeux hagards sur Pierre qui s’était laissé tomber sur un siège sur lequel il demeurait affaissé, désespéré, et elle prononça :

— Oui, c’est terrible.

— C’est épouvantable ! murmura Pierre avec un frisson d’horreur.

Ils demeurèrent un moment silencieux et sombras.

Que disait donc le journal ? Voici :

UN VOL AUDACIEUX !

Les bureaux de « Conrad-Dunton Engineering Company » ont été avant-hier, dans la nuit, le théâtre d’un vol audacieux. Depuis un mois le bruit courait qu’une jeune ingénieur canadien avait inventé une machine Chasse-Torpille dont on vantait les merveilles. Un modèle minuscule fabriqué par l’inventeur lui-même, avait par des essais subséquents, démontré le parfait fonctionnement de la machine et les grands services qu’elle pouvait rendre. Conrad et Dunton, après une longue étude de l’affaire, firent des avances à l’inventeur qui consentit à céder tous ses droits de propriété pour certaine somme d’argent, dont le quart lui fut versé immédiatement. Les plans demeurèrent entre les mains de MM. Conrad et Dunton, l’inventeur s’engageant à leur livrer, le jour suivant, le modèle de la machine. Or, hier matin, les plans du Chasse-Torpille, qui avaient été déposés dans le coffre-fort de la Compagnie la veille avaient mystérieusement disparu au cours de la nuit suivante. Au moment où cette disparition était constatée, l’inventeur survenait tout à coup et annonçait que son modèle avait été enlevé de son domicile durant la même nuit. C’était bizarre. D’autant plus que la veille au soir, une certaine Henriette B…, employée de la Compagnie et connaissant la combinaison du coffre-fort, avait travaillé, seule, une couple d’heures aux bureaux où l’inventeur était venu la rejoindre dans la soirée. Il faut dire que l’inventeur et la jeune fille étaient fiancés et désireux de gagner la forte somme, afin de s’épouser au plus tôt et de couler des jours aisés. Déjà, le soupçon s’imposait fortement. Mais voilà que ce matin nous sommes informés que l’inventeur et sa fiancée ont mystérieusement disparu de la Métropole et ont, en toute probabilité, passé la frontière américaine. On croit comprendre que l’inventeur, après avoir extorqué une somme d’argent considérable à la « Engineering Company », va tenter de renouveler ailleurs son exploit. Mais la police a été saisie de l’affaire et les autorités américaines ont été prévenues. On s’attend à l’arrestation prochaine des escrocs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Qu’allons-nous faire ? demanda Pierre à la jeune fille qui demeurait méditative.

Elle releva la tête et sourit doucement.

— Une seule chose, Pierre, répondit-elle avec la plus belle tranquillité, prouver votre innocence et la mienne !

— Mais comment ? s’écria le jeune homme très incrédule.

— C’est mon secret. Néanmoins, cet incident va déranger les premiers plans que j’ai établis. Mais bah ! nous lutterons. Oh ! je conçois bien que la partie va être rude et terrible, mais Dieu aidant, nous la gagnerons, Pierre… Nous la gagnerons, je le jure !