Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

En vous je salue le représentant d’une très illustre profession.

Et Tonnerre, qui ne voulait pas demeurer pour moins impoli que son compère, enleva son feutre en bataille, inclina sa tête pelée et dit :

— Monsieur, veuillez croire, puisque vous êtes avocat…

Mais peu en humeur gaie Monjoie coupa court à ces belles paroles d’aspect condoléant.

— En effet, interrompit-il rudement, je suis avocat, et c’est dire que sur ma recommandation la police se fera un vrai plaisir de ramasser deux vagabonds tels que vous, mes maîtres.

— Hein ! s’écria Tonnerre indigné de l’épithète, que dit ce butor, Maître Alpaca ?

— Il dit que nous sommes deux vagabonds… est-il impoli un peu, ce monsieur Montjoie !

— Grossier, voulez-vous dire ?

— Il déshonore notre brillante et respectable profession !

— Un vrai scandale !

— Arrière… vociféra Montjoie qui, pour la troisième fois, se rua en avant.

De commun accord les deux amis s’écartèrent vivement, et peu s’en fallut que l’avocat n’allât piquer une tête sur le trottoir, tant il s’était attendu à une nouvelle résistance.

Aussi, lorsqu’il fut revenu de son étourdissement, il vit au loin déjà les deux compères déambuler d’un pas rapide, et il ne manqua pas de saisir les restes d’un ricanement aigre et narquois.

— Les insensés ! proféra-t-il en poursuivant sa route.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une heure ne s’était pas écoulée que nos deux pitres revenaient rue Saint-Denis chargés, chacun, d’un paquet énorme.

Comme ils approchaient de leur domicile, ils virent d’assez loin deux hommes se séparer brusquement et l’un d’eux s’avancer à leur rencontre.

— Attention ! dit Tonnerre.

— On y est ! répliqua Alpaca.

Comme ils allaient croiser l’individu, celui-ci s’arrêta net pour demander en anglais ;

— Pouvez-vous me dire, messieurs, de quel côté est la rue Ontario ?

— Hein !… Ontario ?… s’écria Tonnerre avec une surprise bien jouée et en regardant son compagnon.

— On en est loin ! fit celui-ci.

— Loin… c’est-à-dire qu’il en est à cent milles.

— Monsieur, reprit Alpaca comme avec regret, quand nous vous indiquerions le chemin à suivre, vous n’y arriveriez pas ce soir.

— Surtout, si vous avez fait le vœu d’y aller à pied, ajouta Tonnerre.

— Ce qui vous prendrait, en tenant compte des repos, expliqua Alpaca, au moins quatre bonnes journées de marche.

— Je vous conseillerais le chemin de fer, émit Tonnerre avec une sorte d’intérêt.

— Ça va plus vite, assura Alpaca.

— Naturellement en prenant le convoi, expliqua Tonnerre.

— Et ça va plus directement, ajouta Alpaca.

— Que nos routes sinueuses, compléta Tonnerre.

— Et rocailleuses, ce qui ruine vos souliers, renchérit Alpaca.

— C’est-à-dire qu’au lieu d’une économie, reprit Tonnerre, ça vous coûte énormément dans la boutique du cordonnier.

L’homme, fort ahuri, put trouver à dire :

Vous m’avez mal compris, je…

— Pardon… nous entendons parfaitement la langue anglaise, monsieur, reprocha dignement Alpaca.

— Nous sommes polyglottes, cher Monsieur, déclara Tonnerre avec une révérence ; si donc vous voulez…

Mais ces paroles furent interrompues par un grognement de l’inconnu qui poursuivit rapidement son chemin.

Riant fort dans leur barbe les deux compères atteignirent, sans autre incident leur logis. Mais Tonnerre, qui s’était retourné, avait vu le même individu faire demi-tour plus loin et revenir bientôt, sur ses pas.

— Un autre espion ! remarqua-t-il.

— Il faudra prévenir Mademoiselle Henriette, dit Alpaca.

Sur ce, ils pénétrèrent dans leur nouvelle demeure et, l’instant d’après, ils mettaient Henriette et Pierre au courant de leurs récentes aventures.

Mais lorsque le nom de Montjoie tomba de leurs lèvres, ce fut un bel éclat de rire que, en dépit de leur situation peu gaie, Henriette et Pierre firent entendre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au dehors, l’homme qui avait accosté Tonnerre et Alpaca avait remonté la rue, dépassé la maison de Mme Fafard et avait rejoint un autre individu qui l’attendait. Et cet homme, qui n’aurait pas manqué de causer une certaine émotion chez Alpaca et Tonnerre, était très barbu de noir. Et dans ce personnage Henriette aurait reconnu sans peine l’homme qu’elle avait rencontré le soir où les plans et le modèle du Chasse-Torpille de Lebon avaient été volés, ce même homme brutal qui avait frappé la jeune fille dans cette maison inhabitée de la rue Dorchester, enfin, celui qui, de concert et avec l’aide d’un autre malandrin qu’elle ne connaissait pas, l’avait jetée dans le fleuve du haut du Pont Victoria… c’est-à-dire Peter Parsons.

— Eh bien ? demanda Parsons d’une voix rude.

— Ce sont les mêmes individus que vous m’avez signalés, deux espèces de fous…

— Non, dit Parsons, ces deux individus ne sont pas fous. Seulement, ils jouent un rôle et il importe de les surveiller.

— Croyez-vous qu’ils soient mêlés à l’affaire de Lebon ?

— Je le crois.

— Mais Lebon ?

— Je jurerais qu’il est là-haut, répondit Parsons avec conviction et en regardant le premier étage de la maison de Mme Fafard. À tout hasard, reprit-il, surveillez bien les gens qui entrent et qui sortent. Si Lebon sort, suivez-le. Avant une demi-heure je serai de retour avec mes