Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LE MENDIANT NOIR

— Et toi, riposta Maubèche, tu n’as de cervelle que d’un côté de la tête, ce qui fait qu’elle penche à droite !

Un éclat de rire moqueur partit à l’adresse de l’huissier.

Un garde, plus loin, qui n’avait pas entendu la riposte du nain, dit à ses compagnons :

— Messieurs, prenez garde, Monsieur de Maubèche va vous enfourcher… voyez ses jambes !

— Mes jambes, rétorqua Maubèche, peuvent enfourcher une monture élégante, tandis que les tiennes, espèce de cagnard, n’enfourcherait pas un cochon !

Un nouvel éclat de rire retentit.

— Monsieur de Bobèche va de travers… cria un portier. Prenez garde, Monsieur de Bobèche, de vous aplatir le nez au cadre de la porte !

— N’aie pas peur, mirliton, répliqua Maubèche, mon nez est plus solide au milieu de mon visage que ne le sont tes dents de loups dans ta gueule !

Amusée, toute la bande de la valetaille se mit à crier :

— Bravo pour Bobèche !

— Hourra pour Monsieur de Bobèche !

— Tenez, mes amis, s’écria un valet corpulent et gras à lard, moi j’embrasse mon petit Maubèche, il est trop drôle !

Or, le nain n’avait pas eu le temps de voir ce valet que celui-ci accourait par derrière et lui donnait un rude croc-en-jambe.

Maubèche partit tête première et fit un plongeon en avant… mais il ne tomba pas.

Un tonnerre de rires éclata de toutes parts.

Mais le rire se tut, lorsque, rapide comme le vent, Maubèche pirouetta, bondit jusqu’au valet, l’empoigna et le lança dans la salle du banquet où le pauvre diable alla s’écraser comme une lourde masse avec une demi-douzaine de côtes endommagées.

Et, calme, riant sous-cape, Maubèche profita de la stupeur générale pour sortir du château.


V

MONSIEUR DE SAINT-ALVÈRE


Revenons au Lieutenant de Police et sa compagne.

Ils n’avaient pas été témoins de la scène quelque peu drôlatique qui venait de se passer. Après avoir quitté M. de Verteuil, tous deux étaient entrés dans le premier salon presque désert à cet instant, et ils s’étaient dissimulés derrière les rideaux d’une large et haute croisée.

Le Lieutenant de Police avait dit :

— Ici, nous pourrons nous entretenir sans voir peser sur nous les regards des curieux.

La jeune fille était pâle, et de ses lèvres son sourire était tout à fait tombé. Elle ne regardait pas son compagnon, mais elle tenait ses yeux baissés sur son éventail de tapisserie que ses doigts ouvraient et refermaient machinalement.

— Philomène, disait le Lieutenant de Police à voix basse et tremblante, je ne comprends pas que vous paraissiez si peu joyeuse à la veille d’un si beau jour que sera le nôtre après-demain, quant à la cathédrale sera bénie notre union.

— C’est parce que, monsieur, sourit la jeune fille avec amertume, cette union ne devait avoir lieu qu’à l’automne, et que tout à coup, sans raison aucune, et sans même mon consentement, vous l’avancez de quatre mois. Vous venez me dire à brûle-pourpoint : demain, nous serons unis pour la vie !

— Oh ! si cette décision vous a surprise, je vous prie de ne pas m’en croire l’auteur, c’est votre oncle qui l’a voulu ainsi.

— Mon oncle ? Mais vous ne dites pas que vous l’avez pressé de prendre cette décision…

— Ah ! Philomène… fit le Lieutenant de Police avec reproche, qu’osez-vous supposer ?

— Monsieur, rappelez-vous que j’avais exigé quatre mois au moins pour réfléchir !

— Je me le rappelle, et j’aurais attendu ces quatre mois, bien qu’il m’en eût coûté. Ne savez-vous pas que c’est une souffrance bien insupportable que d’aimer et d’attendre si longtemps pour posséder l’objet que l’on aime ?

— Êtes-vous bien sûr de m’aimer ? interrogea la jeune fille en regardant cette fois le lieutenant dans les yeux.

— Osez-vous douter de mes sentiments à votre égard ?

— Monsieur, ne m’aimez-vous que pour la dot de cent mille écus que mon oncle m’a servie aujourd’hui ?

Le Lieutenant de Police se troubla et il se mordit les lèvres pour ne pas échapper des paroles violentes. La jeune fille venait de frapper si juste, qu’elle avait failli désarçonner son cavalier. Lui, réussit par un grand effort de volonté à maîtriser la sourde colère qui grondait en lui et que l’on pouvait surprendre par les éclairs qui enflammaient ses yeux. Il s’écria avec un accent de sin-