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LE MENDIANT NOIR

avait été entendu, et lorsque Vautrin voulut traverser le vestibule et passer devant l’escalier, il trouva sur son passage le Lieutenant de Police escorté de quelques officiers.

Un cri de surprise jaillit de toutes les lèvres :

— Le Mendiant Noir !…

Philippe Vautrin voulut s’élancer vers ce corridor à la fenêtre duquel pendait un câble, mais quatre officiers, l’épée à la main, lui en défendirent l’accès. D’un autre côté, le Lieutenant de Police et cinq ou six autres officiers faisaient un mouvement pour entourer le jeune homme. Celui-ci ne vit plus que l’escalier pour issue, et il s’y jeta avec l’espoir de gagner la porte de sortie et d’échapper à ses ennemis. Mais en bas toute la foule des invités venait de se masser dans le vestibule, et au pied de l’escalier se tenaient une dizaine de gentilshommes qui, l’épée nue à la main, empêchaient toute fuite.

Philippe Vautrin s’arrêta à mi-chemin dans l’escalier et regarda derrière lui : il vit descendre vers lui le Lieutenant de Police et les officiers. Pris entre deux feux, il comprit que seul un coup d’audace pouvait le sauver. Il tira sa rapière, la fit siffler et se rua contre les gentilshommes au pied de l’escalier, criant :

— Place !

Les gentilshommes demeurèrent fermes et la foule compacte, et la rapière du jeune homme heurta dix lames solides. Gaston d’Auterive descendait l’escalier en clamant :

— Tuez !… tuez sans pitié !

Dix autres épées étincelaient derrière Vautrin dont la rapière, à ce moment, claquait contre les épées des gentilshommes. L’une de ces épées venait de se briser, un gentilhomme venait d’être blessé. Vautrin comprit qu’il n’avait plus que deux minutes à lui ; il fonça contre les gentilshommes et la foule. Il y eut un recul, puis un remous, des cris, des vociférations, des clameurs d’épouvante. Par un faux mouvement, Philippe Vautrin glissa et faillit tomber. Dans le violent effort qu’il fit pour se maintenir debout, il échappa son chapeau. Mais rapidement il le ramassa. Toutefois, une jeune fille venait de reconnaître, non sans stupeur, Saint-Alvère, et c’était Philomène…

— Oh ! murmura-t-elle, lui… monsieur de Saint-Alvère !

Philippe Vautrin se retournait à ce moment pour faire face à Gaston d’Auterive et les officiers qui l’accompagnaient. Derrière les officiers l’escalier était libre. Vautrin se darda en avant avec une énergie sauvage, se fit une trouée et atteignit l’escalier qu’il monta à grandes enjambées. Dans le vestibule du rez-de-chaussée la stupéfaction et le désarroi étaient tels que sur le moment on ne songea pas à poursuivre le Mendiant Noir. Celui-ci courut à la fenêtre par laquelle il avait reçu son accoutrement, lança en bas manteau, chapeau, besace et rapière, trancha la corde de son poignard, se pencha en dehors et cria :

— Fuit, Maubèche !

Il reprit sa course vers le vestibule au moment où Gaston d’Auterive, des officiers et des gentilshommes s’engageaient dans l’escalier. Philippe eut le temps de traverser le vestibule, de gagner inaperçu le corridor dans lequel se trouvaient les appartements du Marquis de la Jonquière, et d’entrer brusquement dans la pièce qu’il avait quitté l’instant d’avant, où il trouva le valet de chambre penché sur le Marquis de la Jonquière.

— Que se passe-t-il donc ? interrogea-t-il avec un grand calme. Est-ce qu’on n’a pas appelé au secours ?

— Ah ! monsieur, s’écria le valet de chambre avec des larmes aux yeux, c’est le mendiant Noir, il a bien failli tuer Son Excellence !

— Vraiment ? fit Vautrin avec surprise.

À la minute même, les pas des gens qui accouraient retentirent dans le corridor. Philippe Vautrin ouvrit la porte et s’arrêta sur le seuil, après avoir tiré la porte sur lui de façon qu’elle demeurât légèrement entrebâillée. Alors il vit s’arrêter devant lui le Lieutenant de Police et ceux qui l’accompagnaient. Et tous ces gens regardèrent avec surprise Monsieur de Saint-Alvère qu’ils reconnurent. Alors, lui, froid et grave, demanda en fixant Gaston d’Auterive :

— Messieurs, Son Excellence demande ce que signifie tout ce vacarme.

Ce disant il fermait tout à fait la porte derrière lui.

Le Lieutenant de Police lui lança un regard sanglant.

— Monsieur, pourquoi êtes-vous ici ?

— Pour mes affaires, Monsieur, répondit froidement Philippe Vautrin.

— Pour vos affaires ?

— Sans doute. Monsieur de la Jonquière venait de me faire appeler pour me communiquer une certaine lettre anonyme qu’il a reçue ce soir…

Gaston d’Auterive tressaillit.

— Ah ! ah ! fit-il avec surprise. Mais, di-