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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

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Pour expliquer la disparition inattendue de Pierre Lebon et qui semblait si mystérieuse, il faut revenir juste au moment où le colonel Conrad et son oncle, la femme voilée, c’est-à-dire Miss Jane, et Fringer gagnaient la salle du tribunal.

À ce moment-là, le jeune homme en habit gris clair — celui qui disait s’appeler William Benjamin — s’approcha rapidement d’Alpaca et Tonnerre.

— Je constate, dit-il d’une voix basse, limpide et douce, que vous avez reçu mes instructions et les avez comprises.

— Nous avons fait de notre mieux pour nous en tenir à la lettre, expliqua Tonnerre avec une révérence.

— Ce serait donc temps perdu, et nous n’en avons pas à perdre, de vous dire de vive voix ce que je vous ai écrit… suivez-moi donc !

— Nous suivons ! dit Alpaca sur un ton résolu.

Et les deux compères, en se donnant des airs de policiers, marchèrent d’un pas sec à la suite de Benjamin.

Le trio gagna le petit couloir conduisant aux salles des détenus. Il s’arrêta devant la grille derrière laquelle avait été poussé Pierre Lebon.

À la vue de ces trois personnages d’aspect imposant, le gros porte-clefs demanda avec complaisance :

Désirez-vous, messieurs, voir l’un des prisonniers ?

— Le voir et l’emmener avec nous, répondit Benjamin d’une voix brève et impérative. Pierre Lebon ! ajouta-t-il aussitôt d’une voix forte.

L’inventeur sursauta, ouvrit des yeux démesurés et parut se statufier. Mais il saisit les regards clairs et intelligents de Benjamin fixés sur lui, et, devinant qu’on venait le sauver, répondit :

— Présent !

— En effet, voilà bien Lebon, dit le porte-clefs. On me l’a confié en attendant que le tribunal le requiert.

— Voilà pourquoi nous sommes ici, répliqua Benjamin de sa voix brève. Et vous autres, ajouta-t-il en se tournant vers Alpaca et Tonnerre, veillez bien attentivement sur l’accusé.

— Compris, dit Tonnerre, il sera entre bonnes mains.

— Ouvrez ! commanda Benjamin au porte-clefs.

Celui-ci hésita. Il avait perdu sa jovialité. Il regarda de ses yeux gris et perçants Benjamin, ses deux « policiers » et Lebon. Benjamin frémit imperceptiblement. Car les minutes étaient précieusement comptées, quelques secondes seulement de retard, et l’entreprise pouvait rater. Il tira vivement de sous son bras sa serviette et dit :

— Au fait, j’oublie de vous montrer l’ordre du magistrat que j’ai ici…

Ce fut un Sésame !

— C’est inutile, monsieur, s’empressa de dire l’honnête gardien, j’ouvre…

Pierre Lebon sortit de la cellule, Alpaca et Tonnerre se postèrent militairement à ses côtés, puis Benjamin commanda d’une voix légèrement troublée par l’émotion :

— Et maintenant, vous autres, filez et vite !…


III

WILLIAM BENJAMIN


Vers les trois heures de relevée de ce jour, un tout jeune homme, mis avec une élégance parfaite, se présentait au bureau de James Conrad rue Saint-Jacques. Il fut reçu par une demoiselle qui, depuis la disparition d’Henriette Brière, agissait comme secrétaire.

James Conrad n’était pas revenu de son déjeuner.

Le jeune homme tira une carte de sa poche et dit :

— Mademoiselle, voulez-vous me permettre de laisser ma carte, attendu qu’une affaire très importante ne me permet pas d’attendre le retour de Monsieur Conrad ? Je vous prie aussi de lui demander de communiquer avec moi par téléphone au Corona où je serai à cinq heures précises.

— Très bien, monsieur, répondit la secrétaire en prenant la carte présentée.

— Merci, dit le jeune homme avec une gracieuse révérence.

Une fois le visiteur éloigné, la secrétaire prit la carte et lut :

William Benjamin, Jr. Broker, Chicago.

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Nous nous transporterons encore à la résidence d’été de James Conrad, à Longueuil.

Une pendule dans le salon indique huit heures et quelques minutes, soir de ce même jour.

Le colonel Conrad vient d’arriver. Il est seul avec son oncle. Mme  Conrad et sa fille sont en visite dans la Métropole.

James Conrad disait à son neveu :

— N’est-ce pas, Philip, que la disparition de Lebon est bien singulière ?

— J’avoue qu’il n’a laissé aucune trace.

— As-tu retrouvé les deux Individus dont tu m’as parlé et qui auraient, à ton avis, joué un certain rôle dans la fuite de Lebon ?

— Non, mon oncle. Comme Pierre Lebon, ces deux hommes demeurent introuvables. Et voulez-vous savoir à quoi je pense ?

— À quoi donc ?

— Je pense qu’à cette heure il n’est qu’un seul homme qui puisse nous donner des explications sur la fuite de Lebon.

— Quel est cet homme ?

— Montjoie ! dit le colonel. Et une lueur de haine féroce sillonna ses prunelles jaunes.

— Tu penses donc que Montjoie est pour quelque chose dans cette affaire ?

— Oui, je pense que lui-même a organisé la fuite de notre voleur.

— Peut-être, répliqua pensivement Conrad qui n’avait pas oublié l’entretien violent qu’il avait eu la veille avec le jeune avocat.

À cet instant, le timbre de la porte d’entrée annonça la venue d’un visiteur.